Poitiers, 5 mai 1996

Actes 6:1-7
Col. 1:12-20
Jean 14:1-14

     Jésus est dans la chambre haute. C'est la dernière soirée avec ses apôtres. Judas est parti. L'engrenage qui va mener à la croix est enclenché. Jésus veut préparer ses disciples à ce qui les attend, au choc, à la tristesse, à l'absence, puis au souffle de l'Esprit et à la lutte, et enfin au martyre possible. Il a beaucoup de choses à leur dire en bien peu de temps. En fait d'ailleurs, il s'agit pour lui de leur dire qu'il leur a déjà tout dit, mais qu'il n'ont pas compris au moment où il leur parlait, durant son ministère.

     Je n'ai jamais vécu cela, mais j'imagine ce que pourraient être les derniers moments de quelqu'un qui sait qu'il en a terminé de sa vie ici bas, et qui a des tas de choses à dire, à régler. Je ne pourrai pas citer d'exemple, mais il me semble que la littérature a déjà abordé ce thème.

     Voilà donc la situation de Jésus, et les disciples commencent à comprendre. Pierre impétueux, se croit prêt. Les autres, inquiets, s'interrogent. Et Jésus essaye de les rassurer, et aussi de leur faire comprendre que ce qui va lui arriver n'est pas la fin, mais le début d'autre chose, que ce ne sera pas une défaite pour lui, mais bien une victoire, qui en annonce beaucoup d'autres.

     Ne soyez pas inquiets, leur dit Jésus, croyez en Dieu et croyez aussi en moi. La foi, voilà une des clefs pour la paix des disciples, pour la lutte et pour la vie.

     Croire, ce n'est pas ce que dit l'expression populaire. Quand on dit, quand on ajoute après une affirmation : je crois, cela signifie : il y a de fortes chances. Je crois que l'été sera sec. Cela n'a rien à voir avec la foi. La foi, dit l'auteur de l'épître aux Hébreux, est une assurance, une démonstration, l'assurance des choses qu'on espère. Tiens encore un mot détourné : j'espère que vous comprenez : traduction : je n'en suis pas sûr. Mais voilà, tout comme la foi, l'espérance chrétienne est aussi un assurance, pas un doute, pas une possibilité, mais bien une certitude.

     Croyez en Dieu, et croyez aussi en moi. Vous pouvez vous appuyer sur Dieu, vous pouvez vous appuyer sur moi, nous dit le Seigneur.

     Je vous quitterai bientôt, dit-il aux disciples, mais quand vous aussi vous partirez, je vous l'assure, une place vous est réservée. Ce chemin qui est le mien, sera aussi le vôtre, et il se terminera au même endroit. Nous serons alors ensemble.

     Oh, attends, attends, Seigneur. On ne suit plus. Ce chemin, où est-il ? Quel est-il ? Tu es encore là, avec les apôtres.      
     Mais, vous n'avez pas encore compris. Ce chemin, c'est moi. D'ailleurs, vous êtes avec moi depuis un certain temps. Vous êtes déjà en chemin, sur le chemin. Vous m'avez vu vivre, agir. Vous m'avez suivi, observé, comme le disciple écoute et observe le maître. Et vous demandez encore où est le chemin ? Ce que j'ai fait, faites-le. Ce que j'ai annoncé, annoncez-le. Et je vous accompagnerai alors toujours. Vous devriez le savoir, vous me connaissez. Et par conséquent, vous connaissez le Père, vous l'avez vu.

     Eh là, Seigneur, tu exagères. Comment connaîtrions-nous le Père ? Comment l'aurions-nous vu ?

     Mais enfin, n'avez-vous donc pas compris, qu'en me voyant, vous voyiez le Père, qu'en m'entendant, vous entendiez le Père, que ce que vous me voyiez faire, c'était le Père qui le faisait. Et vous me demandez de vous le montrer ! Mais étiez-vous vraiment avec moi sur les routes de ce pays, quand je parlais à la foule des choses du Père, quand je guérissais, quand je soulageais, quand je nourrissais. N'avez-vous pas compris que le Père est venu, qu'Il s'est approché des hommes, qu'Il était parmi vous, que tout ce que je faisais manifestait SA présence. N'avez-vous pas encore compris que mon intimité avec Lui est telle que nous ne faisons qu'un, que ma pensée est SA pensée, que ma vie est SA vie, que ma puissance est SA puissance.

     Et d'ailleurs, quand je ne serai plus là, je resterai avec vous, si vous le voulez bien, si votre foi est certitude, si mes paroles sont devenues vos paroles, si mes actes sont devenus vos actes, et si mon intimité avec Dieu est devenue la vôtre avec moi. Alors, quand vos pensées seront mes pensées, et vos désirs mes désirs, alors demandez, et vous recevrez. Vous serez alors les témoins du Père, vous en serez la manifestation.

     Voilà donc ce que Jésus expliquait à ses disciples cette dernière nuit avant sa mort en croix.

     Et, nous, nous qui ne l'avons pas suivi sur les chemins de Galilée, de Samarie et de Judée, nous qui ne l'avons pas vu ni entendu, n'avons-nous pas les mêmes questions ? Où aller ? Comment voir le Père ? N'avons-nous pas parfois la sensation d'être loin de Dieu, loin de la source, et cherchant ce qu'il faut faire, ayant besoin d'être rassurés ?

     Qu'est-ce donc que la vie chrétienne, à laquelle les disciples de maintenant sont appelés ?
     Elle est d'abord faite de foi, d'espérance et d'amour. De foi, d'espérance, c'est à dire de certitude. Important pour certains, accessoire pour d'autres, notre place après la vie parmi les hommes, est assurée. Ce n'est pas une possibilité, ce n'est pas une éventualité, c'est une certitude. Elle ne peut être remise en cause, même par notre faiblesse, car malgré notre peu de fiabilité, le Seigneur, lui, est fidèle. Sa parole vaut le meilleur des contrats en béton. Alors ne nous tracassons pas de l'au delà, ce n'est plus notre problème.

     Car enfin, la vie chrétienne, ce n'est pas accumuler des bonnes actions pour mériter le paradis. Ce n'est pas une suite d'observances, de règles, de traditions. C'est d'abord une intimité, une vie partagée, partagée avec Jésus, avec Dieu.
     Mais, il n'est plus là ! Et pourtant, sa Parole est là. Dans l'Evangile, nous le voyons agir, nous l'entendons parler. Dans la prière nous lui parlons. Ce qu'une terminologie un peu piétiste appelle vie spirituelle est en fait le coeur de la vie chrétienne. Son absence réduit la vie chrétienne à une sécheresse, où on cherche des repères, d'où la vie est absente. L'action peut être présente, mais ce qui en fait la force manque. Le contraire est bien sûr possible : la recherche d'une vie spirituelle intense faisant oublier le reste. Et ce chemin là aussi ne mène à rien.

     Connaître, écouter, vivre avec le Christ, c'est aussi le suivre sur le chemin, c'est aussi prendre son chemin, faire ce qu'il faisait, voir les hommes où ils sont, les regarder comme Jésus savait les regarder, les écouter comme il les écoutait, et les aider comme il les aidait, les secourir comme il les secourait, et leur annoncer la Bonne Nouvelle comme il la leur annonçait.

     Il ne me semble pas qu'il faille comprendre, comme le disent souvent en particulier nos frères catholiques, que le Christ est présent en chaque homme, et que les servir c'est le servir. Je préfère dire qu'il faut regarder les hommes avec les yeux du Christ, les écouter avec ses oreilles, leur parler avec ses paroles, les aimer de son amour. Ils ont aussi besoin de cette intimité et de cette certitude qui devrait être celle des enfants de Dieu.

     Si nous savons nous imprégner de sa pensée, de sa vie, de sa vérité, de son chemin, de son amour, si nous savons nous abstraire de ce qui nous handicape, la nature humaine et ses désirs, et ses convoitises, alors sa vie sera notre vie, son chemin sera notre chemin, et ses prières seront nos prières.

     Mais si, depuis des années, l'un ou l'autre est en train de tenter de vivre une vie bonne, fidèle, en souhaitant y arriver, en faisant attention à ce que dit la Bible, en écoutant les prédications et en s'efforçant de les mettre en pratique, je dis : Stop ! Là n'est pas le chemin. Dieu ne nous demande pas des efforts, il nous demande notre vie. Il est inutile d'aller de déception en déception, car notre nature nous mènera toujours à l'échec.
     Croyez en Dieu, et croyez aussi en moi, dit Jésus. La première chose à faire est de croire, de croire que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, que sa grâce seule compte. Il nous suffit de prendre à notre compte sa promesse, de renoncer à notre vanité, à notre prétention, à ce péché qui consiste à considérer le salut de Dieu comme incomplet, à terminer.

     Il suffit de lui dire, maintenant : non seulement je ne suis pas capable de bien, mais le mal est maître en moi. Je ne peux pas trouver d'issue par moi même. Alors, je veux saisir TA grâce, TA promesse. Oui, je crois que tu es venu, que tu es mort, que tu es ressuscité, que tu accompagnes le croyant, que tu es le Fils de Dieu, et que tu as une place pour moi, dès maintenant. Je veux vivre TA vie, suivre TON chemin, écouter TES paroles, et faire ce que tu faisais : regarder, écouter, aider les hommes et leur annoncer la Bonne Nouvelle.

     Amen.

(Philippe Cousson)

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