Poitiers, 20 mai 2007

2 Timothée 3:14-17
Jean 20:30-31

Chers frères et soeurs,

les débats actuels entre chrétiens, et les controverses liées à l'archéologie ou aux sciences naturelles amènent beaucoup de chrétiens à se poser des questions sur ce texte que nous méditons chaque dimanche, que nous lisons régulièrement, que nous étudions en groupes. Quel est-il ? Quelle est son autorité ? A quoi sert-il ? Qu'en faire ?

L'apôtre Paul et l'auteur du quatrième évangile nous fournissent déjà quelques pistes.

Ils font tous les deux mention de l'écriture, d'un texte écrit, fixé. On parle en général de la Parole de Dieu, et pourtant ici il s'agit de textes écrits. Pour ces auteurs il est important que ces paroles aient été fixées, écrites. Il faut aussi noter que si, souvent, dans le Nouveau Testament, quand on parle des Ecritures, on fait allusion à notre Ancien Testament, il n'est pas rare qu'on y parle aussi d'écrits contemporains qui allaient devenir le Nouveau Testament. C'est le cas dans la première conclusion du quatrième évangile. Les écritures, l'Ecriture, le Livre, la Bible, ce ne sont pas uniquement des paroles, des paroles en l'air, c'est un texte écrit, fixé, choisi, auquel on reconnaît une autorité.

Maintenant, et c'est mon deuxième point sur ces textes, ce texte écrit, s'il n'est pas "tombé du ciel", est inspiré de Dieu, theopneustos, soufflé par Dieu. Nous reviendrons plus loin sur la façon de comprendre cette expression. De plus, si ce texte est inspiré, il a aussi pour objet le message de Dieu, il nous parle de Dieu, il nous parle de Jésus, le Christ. C'est ici le sujet de cette parole écrite, son objet.

Et quant à son objectif, pourquoi avons-nous ce texte, ces textes, nos deux passages là aussi sont clairs : pour rendre sage à salut, pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire, pour que l'homme de Dieu soit accompli, pour que vous croyiez au Christ, pour que vous ayez la vie en son nom. L'objectif de l'Ecriture est l'annonce du salut, de la grâce.

Je viens donc de vous dire que le texte biblique ne nous était pas tombé du ciel, achevé, parfait. Voyons donc un peu comment il est parvenu jusqu'à nous, par quels enchaînements avons-nous donc ces paroles écrites entre nos mains.

Les études sur les développements des premières civilisations et sur l'apparition de l'écriture et les modes de fonctionnements de la transmission des textes nous permettent d'avoir déjà des idées sur ce qui a pu se passer.

Comme dans tout peuple, même celui qui connaît l'écriture, se transmettent des traditions orales, des coutumes, des explications du monde, des récits. Et ces textes sont fixés par écrits. Puis ces textes sont copiés, recopiés, puis traduits, et ainsi de suite. Ils sont aussi souvent rassemblés, classés, référencés. Et puis ils sont aussi oubliés, enterrés, perdus, et parfois retrouvés.

Les textes qui nous sont parvenus, et qui constituent notre Bible ont donc été portés à l'écrit, recopiés, assemblés, recopiés. Puis ensuite, ils ont été acceptés, reconnus, intégrés dans un corpus précis, et encore recopiés, traduits, et c'est ainsi que nous pouvons lire ce texte. Beaucoup de personnes sont intervenues dans ce processus. Mais en fait, la question reste : pourquoi ces textes-là ? Pourquoi des textes ?

C'est ici qu'intervient notre foi, qui reconnaît à ces textes le caractère de theopneustos, de soufflé par Dieu, de l'intervention du souffle de Dieu, du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit intervient, croyons-nous, à chacune de ces étapes. Il intervient dans l'apparition ou l'adaptation des premières traditions orales, il intervient au moment de la fixation des premiers écrits, au diverses étapes de la composition des textes, au diverses étapes de la transmission, récitation et recopie, au moment de la validation et du choix des textes retenus, au moment de la traduction, et aussi au moment de la lecture, de la méditation, de la prédication de ce texte, de ce message que Dieu veut laisser aux hommes. C'est tout cela l'inspiration du texte biblique.

Mais, encore plus que la simple inspiration qui pourrait faire de ce texte un texte divin, sacré, intouchable, pur, parfait, Dieu a choisi de faire passer son texte par des hommes. S'ils ont été inspirés, ce ne sont pas moins des hommes qui ont composé, écrit, arrangé, recueilli, recopié, traduit, reconnu ces textes. Dieu a choisi de faire passer son message par des hommes. Il a choisi pour sa Parole, pour son message, la voie de l'incarnation. C'est incarné dans la pâte humaine, dans l'histoire humaine, dans la culture humaine, que Dieu a choisi de faire passer son message. Dieu a choisi de s'adresser aux hommes dans leur langage, dans leur culture, dans leur réalité. La Bible est la Parole de Dieu, non seulement inspirée, mais surtout incarnée.

Et cette incarnation est visible, non seulement parce que le texte utilise une langue humaine, des langues humaines, mais aussi parce qu'elle raconte des vies humaines et l'intervention de Dieu dans des vies humaines, parce que le texte utilise, reprend, détourne les cultures humaines. Il n'est pas rare de retrouver des textes antiques qui sont des calques de textes bibliques. Lequel a repris l'autre ? Il me semble que l'intérêt est alors de chercher ce qui dans le texte biblique diffère de l'autre texte antique. Un peu de la même manière, nous avons à faire passer le message de l'Evangile dans notre culture, en utilisant cette culture, et en nous en démarquant.

Car voilà encore un problème auquel sont confrontés les croyants face au texte biblique : comment l'aborder ? Il y a eu au cours de l'histoire plusieurs manières.

Si nous cherchons de quelle façon les auteurs du Nouveau Testament citent l'Ancien Testament, nous sommes souvent déconcertés. Citation hors contexte, morceau de phrase dont on se demande ce qu'il fait là, expression reprise sans rapport avec l'intention de l'auteur original. Et pourtant, ces textes sont en face de nous, soufflés par Dieu.

Une façon raisonnable d'aborder les textes bibliques est une analyse linguistique du texte, une analyse du contexte historique et culturel. On cherchera où se trouve la "pointe" du passage, et le message que Dieu cherche à nous faire passer, pensons-nous. On cherchera aussi à comprendre comment ce texte est parvenu jusqu'à nous. On regardera aussi ce que d'autres ont dit de ce texte au cours de l'histoire.

Mais, c'est à ce point là qu'une division s'opère entre les églises. Quel poids donner à ceux qui nous ont précédés ? Leur parole, leur analyse est-elle déterminante ? Fixe-t-elle définitivement la compréhension du message divin ? Ce qui est appelé la Tradition de l'Eglise a-t-il sur la compréhension et la transmission du message de l'Evangile une valeur qui en fasse une autorité incontestable ? C'est la position catholique.

Si les protestants citent aussi les pères de l'Eglise, et les théologiens autant protestants que non protestants, il ne s'agit pas alors d'en référer à une autorité déterminante, mais d'y chercher un éclairage, le principe reste toujours celui des croyants de Bérée, qui comme Luc nous le rapporte, cherchaient chaque jour dans les Ecritures si ce qu'on leur disait était exact.

Et puis une autre fissure est apparue, qui est née il y a quelques siècles. Quand nous regardons ces textes, le message que nous y lisons vient-il du texte lui-même, ou vient-il de ce que notre expérience et notre raison nous permettent d'y voir ? Quel est le poids, l'autorité de la raison dans la formulation et la compréhension de la foi ? S'il était possible à l'homme avec sa raison et son expérience de comprendre et d'appréhender sa vie et son salut, quel aurait été l'intérêt d'une parole incarnée, d'une parole de Dieu ? L'intelligence de l'homme lui permet de trouver et de comprendre beaucoup de choses, mais elle ne peut pas à elle seule assimiler ce que seul l'Esprit de Dieu peut souffler à l'esprit de l'homme. Bien sûr, l'Esprit de Dieu peut se passer de l'Ecriture, mais il ne peut pas se contredire.

La référence ultime reste à l'Ecriture. Ceux qui nous ont précédé, l'expérience et la raison peuvent nous aider à la comprendre, mais seul l'Esprit y révèle l'Evangile.

J'en revient alors à la raison d'être des textes bibliques. Ils sont ici pour nous raconter les relations de Dieu avec l'humanité, et pour proclamer l'Evangile de Jésus-Christ, mort et ressuscité. Il s'agit de rendre "sage à salut par la foi en Jésus-Christ". Bien sûr, il est possible d'étudier ce texte comme un texte ancien, avec un regard académique, hors de tout contexte de foi. C'est une recherche légitime. Le croyant utilisera aussi ce regard, mais pour y chercher la trace de ce Dieu veut dire. Par contre, regarder ce texte comme un manuel de sciences ou d'histoire, c'est se tromper de nature de texte. Chaque élément de texte a été formé dans une série de contextes culturels qui peuvent expliquer les éléments qu'ils contient, et d'où il faut chercher la différence qui porte le message de Dieu. Rappelez-vous ce que disait Jésus d'après les Evangiles : "On vous a dit, mais moi je vous dit".

Je dis qu'il est légitime de dire de la Bible qu'elle est la Parole de Dieu, mais pas si elle reste fermée. Ce livre, s'il est fermé n'est pas la Parole de Dieu. Il est la Parole de Dieu, s'il est ouvert, s'il est lu, s'il est étudié, s'il est écouté et mis en pratique, si on y cherche le message de Dieu. Sinon il n'est qu'un livre, important certes dans l'histoire des cultures humaines, mais il n'est qu'un livre.

Mais alors, pourquoi y porter attention ? Pourquoi ouvrir ce livre ? Pourquoi chercher à écouter la Parole de Dieu ?

J'y vois trois réponses :
D'abord, pour soi. Parce que nous avons besoin de ce que Dieu nous a laissé, de ce qu'il a soufflé dans ces pages, et dont il nous faut nous nourrir. Nous en avons besoin pour notre édification de chrétien, pour ne pas rester ces chrétiens encore au biberon auxquels Paul fait allusion. Nous en avons besoin pour notre sanctification, parce que nous n'avons pas encore tout compris de la vie chrétienne, ni de l'amour que Dieu porte aux hommes.

Nous en avons besoin aussi pour les autres. Nous en avons besoin pour pouvoir proclamer l'Evangile qui nous fait vivre, pour témoigner de cette foi, et pour le faire dans le contexte culturel où nous vivons. Pour pouvoir retransmettre le message de salut de Dieu, il faut toujours mieux le comprendre et le vivre.

Et enfin, ces textes sont pour nous des outils pour dire à Dieu et aux hommes ce que nous ne savons pas dire. Ils nous rapportent les paroles et les actes de témoins de l'action de Dieu. Ils peuvent nous apprendre à prier, à louer, à témoigner.

Toute l'Ecriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice.
Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayez la vie en son nom.

Amen

(Philippe Cousson)

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