Poitiers, 4 janvier 1987

Matthieu 2

Voici encore aujourd'hui un texte très connu. Et de plus, nous en connaissons tous la version que nous en laisse la tradition, le folklore de Noël.
Il y est question de trois rois mages, dont un serait blanc, un autre noir et le troisième jaune. On leur a même trouvé des noms. Ils font joli, placés dans la crêche, avec leurs cadeaux. On a même chanté leur venue. Pendant tout ce début de nouvelle année, on se partage des galettes des rois. Mais à ce moment, où est-il le Christ, l'enfant, celui que les sages d'Orient étaient venus adorer ? Il est devenu l'arlésienne de cette histoire.
De même que le Père Noël éclipse la naissance du Roi, du Sauveur, de même les rois mages et leurs brioches effacent l'annonce de la venue de celui qui va mourir sur la croix, Dieu parmi nous.
Mais aujourd'hui, je vais m'arrêter sur un autre personnage, et sur ses semblables, sur le personnage que la venue de cet enfant gêne le plus, sur Hérode.
Hérode était un tyran sanguinaire. Il a fait la guerre à son frère, il a fait tuer une des ses femmes, plusieurs de ses fils, pour ne pas partager le pouvoir. Et voilà que c'est à cet intrigant qu'on vient annoncer la naissance du Roi des juifs. Alors, il s'informe d'où pourrait venir cet oint, ce Christ, mais surtout pour lui ce rival qu'il faudra sans doute éliminer. Il interroge, et voilà que les scribes, et les rabbins savent. Il doit naître à Bethléem, le Messie. C'est bien là-bas qu'il faut le chercher. Pas dans ce palais d'assassins. Alors, Hérode joue la comédie. Je veux aussi l'adorer. Vous reviendrez me dire où vous l'avez trouvé. Mais Dieu protège son enfant, et par lui notre salut à tous. Il demande aux sages de rentrer par un autre chemin, et fait fuir la famille de l'enfant. Alors, le potentat, l'homme du pouvoir, voit qu'il a été roulé, humilié. Sa colère est grande. Il faut absolument éliminer ce futur rival, celui qui par son existence même, met en doute, en péril, son autorité. Alors, il fait massacrer tous les enfants d'une région, ce serait bien le diable s'il n'était pas parmi eux, et de toutes façons, il n'est pas à cela près. Mais l'humour du texte est telle que sa mort à lui est mentionnée dans un petit bout de phrase de 5 mots :'après la mort d'Hérode.' Ce tyran, celui qui terrorisait un peuple, grâce à l'aide des romains, est passé. C'en est fini de lui. Son pouvoir, sa puissance, la terreur qu'il inspirait, sont terminés. Quelle différence avec cette autre mort, celle du vrai Roi, du Seigneur !

Mais cette épiphanie, cette apparition du Christ, ne se manifeste pas seulement au moment raconté par ce récit. Et la liste des Hérode n'est pas limitée à celui dont nous venons de parler.
A chaque fois que quelqu'un est placé devant le Seigneur, qu'il est en position de choisir de le refuser ou de l'accepter, quelle sera son attitude devant cette apparition, cette épiphanie du Seigneur, dans sa vie. Va-t-il le rejeter, essayer de l'éliminer, ou bien l'accepter et l'accueillir ? Ce Nouveau Testament nous conte l'histoire de quelques Hérode. J'en retiendrais trois. ace jeune homme riche, Simon le magicien et Agrippa.
Ils avaient chacun quelque chose qui les retenait, qui les empêchait de faire ce pas décisif vers le Seigneur. Leur entrave était trop importante pour eux. Ah, si seulement le Seigneur avait pu s'accommoder de ce qui leur tenait à coeur. Mais, ils se sont bien rendu compte qu'il fallait choisir l'un ou l'autre. aca religion du Christ n'est pas un appendice à la vie, elle est la vie, elle prend toute la vie.
Ce jeune homme riche avait beaucoup de biens. Il était très riche. Il ne pouvait pas imaginer vivre sans cette richesse. Et voilà que ce 'bon' maître lui dit : Vends tout ce que tu as. Ah, mais ça ne va pas. Je veux hériter la vie éternelle, c'est sûr, mais pas me séparer de ma richesse. Quel terrible dilemme !
Et Simon lui aussi, il avait cru au Seigneur, et il ne quittait plus Philippe, lui qui avait étonné par la puissance de sa magie. Mais ce désir de puissance, d'extraordinaire, ne l'a pas quitté. Son esprit de magicien ne l'a pas abandonné. Il pense même qu'on peut acheter le Saint-Esprit. Lui voudrait bien accommoder la foi et le pouvoir surnaturel. Si on en croit la tradition, il sera le fondateur d'une secte gnostique.
Enfin, Agrippa, le roi Agrippa, arrière petit-fils d'Hérode le grand, l'Hérode de l'épiphanie, élevé à Rome, petit roi de Chalcis, est placé devant Paul. Il parle bien ce Paul, même si Festus le dit fou. Agrippa lui, comprend ce qu'il dit. Il connaît l'histoire sainte, il connaît la religion juive. Pour un peu il deviendrait chrétien. Pour un peu, mais ce peu est tellement important. Il a pour nom Bérénice, sa soeur, avec qui il entretient des relations qui scandalisent. Ah oui, il pourrait être chrétien, s'il était possible d'être chrétien en continuant à vivre comme avant.

Tout l'Evangile nous annonce la grâce de Dieu, le salut gratuit. Mais ce salut nous tire d'une situation de péché. Cette vie nouvelle qu'il nous donne doit en remplacer une autre. Et souvent, en parlant avec des amis de l'Evangile, de la foi, nous les entendons le refuser poliment, simplement, en laissant à notre réflexion, à notre perspicacité, une question, un problème, qui s'il est bien sérieux, bien réel, s'il exige une réponse honnête, n'en est pas moins un rideau de fumée, qui cache, consciemment ou inconsciemment, là, où les choses que l'acceptation de la grâce, que la vie de la foi rendraient inacceptables. Alors on s'entend poser des questions graves comme 'Pourquoi la famine et les catastrophes ? Si vraiment il y avait un Dieu, cela ne serait pas possible.' Ou bien alors on se fait reprocher l'histoire de l'Eglise et de ses hauts-faits pas très glorieux comme les croisades, les guerres de religion. Elle en a fait de jolies choses, cette religion. Ou peut-être on reçoit une question de théologie comme 'Qu'est-ce que la Trinité ? Qu'est-ce que c'est que ce Dieu incompréhensible ?' Question ardue, même pour expliquer à des croyants, alors pour quelqu'un qui ne connaît pas la Bible...
Mais ces questions sont-elles vraiment ce qui fait problème ? N'y aurait-t-il pas par derrière, un fait, une habitude, une manière de vivre, que l'acceptation, la véracité de l'Evangile obligerait à abandonner, à lâcher. L'existence de Dieu, le message de l'Evangile, gênent, ils empêchent de continuer. Alors on en nie l'existence, on en réfute le message. On s'accroche à tout ce qui peut conforter dans son athéisme, son refus de l'Evangile. Ou bien alors on le coupe en morceaux. On veut bien admettre que Dieu existe, peut-être même que Christ est Sauveur, mais on trouve des biais, on les accueille dès qu'ils se présentent, pour rejeter tout ce que cette foi pourrait exiger de notre vie. Hérode a voulu tuer matériellement le salut. A notre époque, chez nous, on le tue intellectuellement. C'est la libération, libération des moeurs, libération du moi.
Et pourtant, l'amour du Seigneur nous demande, à nous croyants, de répondre à ces questions même embarrassantes qui nous sont posées. Il nous faut laisser le soin au Saint-Esprit de convaincre notre interlocuteur, mais surtout, il nous faut de la persévérance dans la prière pour cela.

Que le Seigneur nous aide à être les témoins de son amour. Que nous soyons toujours prêts à rendre compte de l'espérance qui est en nous.

Amen

(Philippe Cousson)

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