Lusignan, 25 juin 2000

Exode 24:3-8
Hébreux 9:11-15
Marc 14:12-16,22-26

Voilà une série de textes un peu difficiles, mais qui peuvent nous aider à comprendre ce que nous venons faire, le dimanche matin au temple, et ce depuis des dizaines et des dizaines d'années pour certains.
Est-ce que chacun a réfléchi sur les motifs qui le poussent à mettre ce moment à part, à se préparer, à se déplacer ?
Est-ce que chacun a réfléchi sur le sens de la Cène ? Pourquoi, au cours du culte, il y a un moment où tous ensemble, on partage le pain et le vin ?
Parce que c'est comme ça, n'est pas une réponse. Parce que nos ancêtres l'ont fait, n'en est pas une non plus. Alors pourquoi ?
Et inversement, pourquoi certains, qui venaient, ne viennent plus ? Par déception ? Par lassitude ? Par refus ? Ceux qui ne viennent plus, savent-ils pourquoi ?

Je me baserai sur le passage de l'épître aux Hébreux.
On y trouve des mots qui seront autant de balises : le sang, le Christ, Dieu, éternel, et les notions de rédemption, de pureté, de rachat, l'alliance.

D'abord, un petit moment sur le texte de Marc, l'institution de la Cène. Un passage que nous entendons souvent, alterné avec d'autres récits de l'institution, Luc ou Paul. Voilà un rite que nous pratiquons, dont nous connaissons tous les moments, ce que celui qui préside dit, ce que nous devons chanter, la préface, la prière, l'institution, etc.
Oui, mais quel est le sens de tout ça ? Qu'est-ce que nous célébrons là ? Pourquoi y venir ? Pourquoi rester à sa place ?

C'est la réponse à cette question que nous allons chercher ce matin. Quel est le sens de la Cène ? Quel est le sens du culte ? Et c'est le texte des Hébreux qui va nous rapprocher de la réponse.
Même si le mot ne figure ni dans ce passage de Marc, ni dans celui des Hébreux, la clé se trouve dans le sens de la Croix. Car, enfin, qu'est-ce que la Cène, sinon un rappel de la Croix, sinon une commémoration de la crucifixion de Jésus, de sa crucifixion et de sa résurrection.

Il nous faut donc nous pencher sur le sens de la Croix, de la mort de Jésus sur cette croix. Un certain nombre de mots de sens voisins ou complémentaires interviennent alors : rédemption, expiation, rachat, purification, absolution, peine, souffrance, châtiment, justice, réconciliation. Nous allons essayer de mettre un peu d'ordre dans tout cela, en gardant à l'esprit, que si la Croix est effectivement au centre de la foi chrétienne et du plan de salut de Dieu, elle gardera aussi sa part de mystère.

Si toutes notions là ont un sens, une substance, c'est bien parce qu'il se trouve que l'humanité, que chaque homme est atteint par quelque chose dont il doit se débarrasser, dont il cherche à se débarrasser : le péché. Oh, le vilain mot. Vous avez certainement entendu parler de l'étymologie hébraïque d'un des mots qui signifie le péché : manquer sa cible.
Une première constatation : le péché est quelque chose d'universel. Chaque culture a ses règles, sa morale. Et dans chaque culture, on sait qu'il est impossible de s'y tenir tout à fait. Alors, dans chaque culture, on a tenté de penser à des systèmes pour y remédier. Qu'il reconnaisse l'existence de Dieu ou qu'il pense autrement, chaque homme sait qu'il a failli, qu'il a échoué, qu'il est pécheur, même s'il utilise d'autres mots pour le dire. Chaque homme passe une bonne partie de sa vie à essayer de se sortir de cette situation inconfortable pour son équilibre mental, moral, psychique.
Si cet homme reconnaît l'existence de Dieu, il sent alors qu'il en est très éloigné. Il pense qu'il est impossible pour lui d'être en contact avec Dieu. Il peut alors renoncer à ce contact, ou alors tenter par ses efforts de s'en rapprocher. Mais il devrait savoir, au fond de lui-même, que le fossé que son péché lui décrit, est tellement grand, qu'il en est infranchissable. Le péché coupe de Dieu.
Le péché n'est pas quelque chose d'extérieur à nous-mêmes, qui nous serait tombé dessus. Il fait même tellement partie de nous mêmes qu'il nous conditionne. Chacun a connu par exemple le cycle du mensonge qui appelle le mensonge. Le péché est un piège intérieur, dont la seule échappatoire est l'auto-enfermement. Le péché est un esclavage.
Puisque chacun, comme le trou noir des astro-physiciens, s'effondre sur lui-même par son péché, celui-ci nous sépare les uns des autres, nous dresse les uns contre les autres par autant de protections illusoires contre un danger qui est intérieur, qui nous est propre.

Face à tout ceci, les sociétés humaines ont construit des protections, des barrières, car si le péché est universel, la conscience du péché l'est aussi. Quand ce péché attente au fonctionnement normal d'une société humaine, elle sécrète alors une antidote, pense-t-elle, le châtiment, la justice. On écarte le fautif, réel ou supposé, on l'élimine. On exige une réparation matérielle ou symbolique. Mais vous comprenez que tout ceci n'élimine pas le péché, même si cela permet d'huiler les rouages d'une communauté humaine.

Le peuple que Dieu s'est choisi, le peuple d'Israël, a développé, conduit par Moïse et les prophètes, tout un système de sacrifices divers pour régler ceci. Une des règles importantes de ce système est que le sang doit être répandu. Mais voilà, ce système exigeait sans arrêt d'être recommencé, perpétué.
Un de ces rites, le moins sanglant, consistait régulièrement pour le souverain sacrificateur à poser ses mains sur un bouc, y plaçant ainsi le péché du peuple, et à le renvoyer dans le désert chargé du péché.
Mais aussi, tous les ans, le Souverain Sacrificateur devait entrer dans le Lieu Très Saint avec du sang, pour son péché et celui du peuple.

Or, le Nouveau Testament le répète sans cesse, Jésus, le Christ, est mort sur la Croix, une fois pour toutes. C'est le seul et dernier sacrifice, parfait. Il n'a pas à être renouvelé.
Il apporte la rédemption, comme le rédempteur de l'Ancien Testament, qui permettait de racheter ce qui risquait de sortir de la famille, comme Dieu, qui a sans arrêt racheté son peuple qui s'éloignait de lui.
Il apporte l'expiation, l'absolution. Un des verbes pour dire "expier" signifie couvrir. La mort de Jésus sur la Croix "couvre" le péché de celui qui regarde à la Croix. Dieu ne voit plus ce péché, il ne le regarde plus. Il voit à travers son Fils.
Il purifie. Le péché non seulement salit, abîme, détruit autour du pécheur, mais il salit, abîme, détruit le pécheur lui-même. Le Christ en mourant sur la Croix purifie, répare, guérit les blessures du péché.
Le péché n'a pas disparu. Le souvenir en reste. Mais pas la blessure. Quand la Croix de Jésus est passée, la blessure est refermée pour tous. Il en reste une cicatrice.
Tout ceci permet une réconciliation du pécheur avec Dieu. La relation peut être rétablie. Le péché, qui avait tout détruit, qui avait semé doute, trouble, reproche et colère, est maintenant absous, pardonné.

Mais il aura fallu ce qui dans notre monde moderne peut paraître cruel, il aura fallu du sang. Les sacrifices de l'Ancienne Alliance exigeaient du sang, du sang répandu. Avec un résultat toujours transitoire, parce que la nature de l'homme n'était pas changée, et que l'état de péché demeurait. Alors que la mort de Jésus Christ, à la fois Sacrificateur et Victime, victime volontaire, où c'est Dieu lui-même qui sacrifie, qui se sacrifie, a un effet sur la nature même de l'homme qui reçoit sur lui ce sang, qui accepte cette mort pour lui, comme la sienne, comme celle que son péché mérite. Il faut noter au passage que ce ne sont pas les hommes qui sont responsables de la mort de Christ, pas plus les Juifs de l'époque que les Romains. Dieu a offert son propre Fils. Les Juifs ne sont pas des déicides. L'antisémitisme n'a pas de fondement, et pas non plus celui-là. Si quelqu'un devait à la rigueur être tenu comme l'exécuteur de Jésus, comme le crucificateur, ce serait chaque homme, au moment où il laisse le péché conduire un bout de sa vie.

Si Dieu a donné son Fils unique, c'est qu'il a tant aimé le monde, et qu'il veut donner la vie éternelle à celui qui croit en lui. Dieu a par la Croix institué une nouvelle alliance, par laquelle la loi de Dieu n'est plus une référence extérieure, mais est inscrite dans le coeur de l'homme, à la place du péché qui gangrenait tout. Et cette alliance est éternelle. Elle n'a plus besoin d'être renouvelée, seulement d'être annoncée, proclamée, partagée, vécue. Christ l'a crié sur la Croix : Tout est accompli. Le salut est là, dès maintenant. Plus de rite, plus de sacrifice. Inutile de dire telle ou telle formule, telle ou telle prière. De même qu'il est vain de penser compenser ses fautes, il est aussi stupide de penser qu'elles sont irrémédiables, que leur effet est définitif. La Croix, c'est la proclamation que rien n'est impardonnable, que tout est expié, qu'il n'y a rien d'autre à faire que de renoncer à vouloir faire quelque chose. Tout est accompli, signifie que le plan de salut de Dieu envers cette humanité rebelle est complet, achevé. Cela signifie aussi que l'homme n'a rien à faire, sinon d'accepter qu'il n'a rien à faire, de reconnaître qu'il a besoin de ce salut, et de le recevoir. Ainsi est la grâce de Dieu.

S'il reste encore ce matin quelqu'un qui pense encore qu'il lui reste une dette envers Dieu, qui pense qu'il pourrait encore s'endetter envers Dieu, je peux lui affirmer qu'il n'en est rien. L'héritage éternel est pour tous ceux qui sont passés au pied de la Croix pour y laisser tout leur péché, pour l'y faire mourir, pour y recevoir la vie nouvelle, pour y imprimer dans leur coeur les commandements nouveaux, pour tous. Il n'est rien qui ne puisse passer à côté, à moins bien sûr qu'on n'ait voulu le conserver avec soi.
Mais alors, il n'est pas trop tard. Il n'est pas trop tard non plus pour celui qui a toujours cherché vainement à rembourser lui-même à Dieu. Il est toujours temps de revenir au pied de la Croix, pour y laisser ce qui nous encombre, ce qui pourrit la vie, pour y abandonner nos prétentions et notre orgueil. Christ est mort sur la Croix. Son sang a été répandu. Le salut de Dieu est venu.
Et Dieu a fourni la preuve de son amour, de son salut, en ressuscitant son Fils d'entre les morts, en prouvant la vie nouvelle. Puis il a envoyé son Esprit, pour que l'Eglise puisse proclamer la Bonne Nouvelle du salut gratuit.

C'est ce que nous affirmons tous les dimanches. Nous venons nous rassembler en communauté, certainement pas pour mériter quelque chose, certainement pas parce qu'il le faut, mais bien pour louer Dieu de ce salut gratuit qu'il nous a offert, donné, et pour proclamer ensemble que ce que nous vivons, que cette vie nouvelle dont nous vivons, est pour tous, qu'il n'y a qu'à la prendre.
Ce que nous faisons, régulièrement en célébrant la Cène, le Repas du Seigneur, qu'il a lui-même institué, c'est de rappeler qu'un jour, il est allé mourir sur une Croix pour nous, à cause de nous et de toute l'humanité, et que Dieu l'a ressuscité des morts.
Et ce culte que nous rendons à Dieu, où il nous convoque, n'est qu'une pâle image du culte céleste où Jésus présente son sang, où les disciples louent Dieu avec les anges.

N'oublions jamais que Jésus est mort, et que le salut nous est acquis, à ceux qui ont laissé leur prétention et leur péché au pied de la Croix. En prenant le pain et le vin, réalisons l'amour de Dieu, de Jésus à ce moment là, pour chacun de nous, pour toute l'humanité.

Amen.

(Philippe Cousson)

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Quelques références consultées :

Stott, John. - L'Essentiel du Christianisme. - LLB (Basic christianity. - IVP)
Clow, W. M. - La Croix dans l'expérience chrétienne. - CLC
Fuchs, E. - Aux sources du salut. - "Le matin vient", 1931.
Hewitt, Thomas. - The Epistle to the Hebrews. - Eerdmans
Henrichsen, Walter A. - Après le sacrifice. - Vida (After the sacrifice. - Zondervan)
Gillièron, Bernard. - Dictionnaire biblique. - Ed. du Moulin
Morfaux, Louis-Marie. - Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines. - A. Colin
Nouveau dictionnaire biblique. - Emmaüs.
CDRom : La Bible-on-line