Poitiers, 30 septembre 2007

Genèse 3

Chers frères et soeurs,

Nous voilà face à un texte très connu, connu non seulement des croyants mais aussi de bien des gens, parce que faisant maintenant partie des textes fondateurs des cultures humaines.
Il est souvent placé au même rang que bon nombre de mythes et de récits qui ont structuré la vie culturelle et sociale de l'humanité.
Ce n'est pas pour cette raison que je l'ai choisi, mais parce qu'il est un de ces passages de la Bible où Dieu intervient directement et dialogue avec des hommes. Ce qui m'intéresse, c'est ce que ceux qui ont raconté cette histoire ont compris de ce que Dieu veut dire aux hommes.
On peut trouver à ce texte, comme d'ailleurs à beaucoup d'autres dans la Bible, des parallèles dans l'histoire culturelle de l'humanité. Mais ce qui m'intéresserait alors, ce serait de trouver en quoi ce texte, et les autres passages bibliques, sont alors différents.
Pourtant, je n'ai pas trouvé de récits vraiment parallèles. On peut trouver des points communs, mais pas une histoire exactement parallèle. Les correspondances sont seulement partielles. Parfois même tirées par les cheveux.

Revenons à notre texte. Suite du chapitre 2, il conclut la création de l'homme par l'arrivée du péché. Point dans ce texte de bataille de divinités dont les hommes seraient les jouets. Non, ici tout est simple, et banal, tristement banal, simplement humain.

Pour l'époque, un récit où un serpent parle n'était pas exceptionnel. Pour nous rationalistes, c'est plutôt anormal. Prenons le récit tel qu'il est, et cherchons plutôt ce que l'auteur, et l'Esprit qui l'a inspiré a voulu nous dire.

Je reprendrai un peu le fil de l'histoire, mais je m'arrêterait plutôt aux paroles de Dieu et à leurs implications.

Dans l'épisode précédent, Dieu avait donné cette consigne : vous pourrez manger des fruits de tous les arbres du jardin, à l'exception de celui qui est au milieu, l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu n'avait pas indiqué de raison pour cela, seulement un avertissement : si vous en mangez, vous mourrez.

Le serpent était rusé. Mais il y a sans doute un jeu de mot possible, que Chouraqui a relevé en traduisant : le serpent était nu. Simple changement de voyelle, mais même racine. On y reviendra.
Que dit donc ce serpent qui parle ? En fait, il fait comme s'il citait Dieu, mais il détourne ce que Dieu avait dit. C'est le piège. Ça ressemble à ce que Dieu a dit, mais ce n'est pas ce que Dieu a dit.
C'est le même piège que l'évangile rapporte dans les tentations de Jésus où le Diable utilise des passages bibliques détournés.

Mais Eve n'est pas Jésus. Elle répond bien en corrigeant le serpent, mais elle en rajoute. L'avertissement ne concernait pas le toucher. Elle est prise dans l'engrenage. Le serpent continue, sans plus se soucier de citer Dieu, au contraire, il fait naître une suspicion sur les intentions de Dieu. Ce n'est pas la mort, la vraie mort, qui vous attend, mais la connaissance du bien et du mal, comme Dieu. Devenir un dieu (une déesse), voilà ce que le serpent place dans l'imagination d'Eve qui n'y avait pas pensé avant. Dieu est déjà loin de ses pensées. Seuls restent elle, et éventuellement Adam, et cette possibilité que peut-être leur offre cet arbre. Et dans cet élan d'imagination, elle a vu qu'il était bon à manger, agréable aux yeux et désirable. Jusqu'à présent, le seul qui ait dit que quelque chose était bon, c'était Dieu. Maintenant, c'est Eve. Elle commence déjà à dire le bon et le mauvais, le bien et le mal.

Ils en mangent donc.

Et alors, ils sont nus. Nus, ou rusés. Déniaisés dirait-on. En tout cas, ils connaissent le bien et le mal, le bon et le mauvais. Ils réalisent bien que quelque chose s'est cassé, qu'ils se sont éloignés de Dieu. Ils ont mis en doute sa parole, ses avertissements, et ils sont là, désemparés, seuls, nus. Que faire ? Ils tentent de masquer leur état. Ils se font des ceintures de feuilles, une déco. Un certains nombre d'autres depuis l'ont fait en noircissant d'autres feuilles.
Ils sont déjà dans la mort, la mort spirituelle qui est la séparation d'avec Dieu.

Et c'est alors que l'ivresse prend fin, le brouillard se dissipe, la gueule de bois. Ils entendent Dieu. Ils l'avaient oublié, celui-là, ou alors enfoui. Ils entendent sa voix, ou son pas, ou le bruit qu'il fait, selon les traductions. En tout cas, c'est "Alerte en Eden". On fait quoi ? On se cache. On verra après. Parmi les arbres, cela semble assez facile. Mais c'est un peu puéril, non ?, si celui qui cherche c'est Dieu, le créateur. On peut peut-être trouver des arbres qui coupent du vent, mais pas pour se couper de l'Esprit de Dieu. Or l'Esprit est cité dans ce verset 8. Dieu passe dans le souffle du jour.

Toujours est-il que Dieu appelle. Ou crie si vous préférez. Il appelle comme il appellera plus tard l'Eglise.
Le contact est coupé, l'homme se dérobe, mais Dieu cherche à rétablir le contact, il appelle. C'est toujours la même chose, mais l'homme cherche toujours et encore à se cacher, à se défiler.

Alors Dieu demande : Où es-tu ?
On ne joue pas. On ne joue pas à "Loup, y es-tu ?" On ne joue pas à "Y-a quelqu'un ?" On ne joue plus. Dieu attend que l'homme se montre, se montre tel qu'il est, comme il est, parce que Dieu n'attend que cette vérité et cette naïveté.

Se sachant découvert (pouvait-il en être autrement ?) Adam ne peut que tenter de répondre et de se justifier de sa disparition. Se justifier. Voilà le début d'un sac de noeuds dans lequel il est entrain de s'emmêler. Comment se fait-il qu'il n'ait pas simplement dit : "Nous avons mis en doute ta parole, négligé tes avertissements, et mangé du fruit de cet arbre au milieu du jardin". On ne connaît pas la réaction qu'aurait alors pu avoir Dieu, mais connaissant la suite de la Révélation évangélique, on peut l'imaginer, on peut imaginer les bras ouverts de Dieu

Donc, il a eu peur. Il n'avait plus confiance. Au lieu de se méfier de lui-même, il se méfiait de Dieu.

Dieu poursuit donc la conversation, mais elle change d'ambiance. On sent qu'une distance est apparue entre eux. "Qui t'a montré que tu es nu ?" Peut-être que la question aurait pu être : "Qu'est-ce qui t'a montré que tu es nu ?" Parce qu'en fait, la réponse aurait dû être : "Ma désobéissance m'a montré que je suis nu, que je n'ai plus mon innocence. C'est fini."
Mais non, au lieu de confesser : "oui, c'est vrai, j'ai manger de l'arbre, j'ai désobéi, je n'ai plus eu confiance", au lieu de cela, il reporte la faute sur quelqu'un d'autre, sa compagne. On se refile la patate chaude.

Et Dieu accompagne ce jeu morbide et désolant. "C'est quoi, cette chose que tu as faite ?" demande-t-il à la femme. Mais, la compagne d'Adam n'est pas plus honnête ou courageuse que lui et passe le témoin au serpent. Non coupable. Elle plaide aussi "non coupable".

Ça va, Dieu en a assez entendu. Il a compris.
Alors, il annonce, il rappelle, les conséquences de tout ceci. Et ces conséquences sont des explications de quelques phénomènes naturels : le serpent rampe, la femme souffre pour enfanter, et l'homme doit trimer pour gagner son pain. Et la mort les attend, qui les ramènera à la terre d'où ils sont venus. Et le jardin primordial où régnait la confiance et l'innocence leur est désormais inaccessible.

Il y a aussi un verset qui indique que Dieu a habillé le couple de vêtements de peau. Bien sûr, certains ont vu dans ce verset l'annonce des sacrifices pour les péchés dans la mort des animaux. Mais il peut aussi y avoir une autre piste. Le mot qui signifie peau ou cuir est identique à la racine du verbe réveiller, s'éveiller, se lever, ou encore être nu. Cette tunique dont Dieu les habille, ne pourrait-elle pas être un vêtement pour qu'ils se tiennent éveillés, courageux, debout, et ne nous rappelle-t-elle pas celle qui a été tirée au sort à la Croix ?

Cette histoire primordiale de l'arrivée du péché dans l'humanité, n'est-elle pas aussi l'histoire de tout homme ?
A la différence peut-être que maintenant, la voix, le bruit, le pas de Dieu n'est plus du tout entendu. Il n'est plus identifié comme étant la voix de Dieu. D'ailleurs Dieu lui-même n'est plus Dieu. Plus personne n'est concerné par un quelconque appel de Dieu.

Pourtant le problème de chaque homme reste. Sa peur, sa nudité sont présentes et prégnantes. L'homme cherche toujours à se cacher, à cacher sa honte, même s'il ne sait plus de qui ou de quoi.

Et c'est à l'Eglise, et c'est aux chrétiens de faire parvenir cette voix, ce bruit, ce pas de Dieu aux oreilles de ceux qui ne connaissent plus Dieu.
Mais la voix des chrétiens au cours de l'histoire est beaucoup plus souvent devenue du bruit, un bruit bien éloigné de l'appel d'amour de Dieu.
Il nous faut vraiment cet Esprit qui accompagnait Dieu dans le jardin, en quête de l'homme. Il faut que nous soyons en quête de l'homme pour relayer ce cri, cet appel de Dieu, nous qui avons été appelés.

S'il nous faut rappeler les avertissements de Dieu, il nous faut aussi expliquer que la peur doit être remplacée par la confiance, que Dieu est un Dieu d'amour. Qu'on se cache de Dieu en le niant, ou en l'habillant pour l'hiver avec les méfaits des croyants, on reste dans son état de coupable rusé, nu mais sans innocence, responsable mais toujours victime d'un autre. On se cache dans le maquis de ses excuses et de sa "bonne foi".

Le seul qui ait jamais assumé le péché de l'humanité, c'est celui qui n'en avait pas commis, mais celui-là est mort sur une croix. Il est aussi ressuscité, parce que c'est ce que Dieu voulait aussi pour Adam, qu'il se relève. Et c'est ce que la foi au Christ permet à chacun, retrouver l'intimité avec Dieu, que nous avons rompu dès que nous avons commencé à nier cette rupture. Dieu appelle, il continue d'appeler. Dieu attend une autre réponse que : J'ai eu peur, ce n'est pas moi, c'est l'autre.

Le chemin de l'arbre de vie passera par cette réponse à l'appel de Dieu : "Où es-tu ?", "Qu'est-ce que tu as fait ?".

Qui répondra à Dieu : "Je me suis égaré, mais je fais confiance en ton amour." ? Qui annoncera : "L'amour de Dieu vous appelle." ?

Dieu est là et crie : "Où es-tu ?"

Amen.

(Philippe Cousson)

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