Poitiers, 23 mars 2008, Pâques
Genèse 15
Nous sommes devant ce texte du chapitre 15 de la Genèse, qui n'a apparemment rien à voir avec le récit de Pâques. L'histoire racontée est située plus d'un millénaire plus tôt. Comme l'ensemble de notre Bible, ce passage nous raconte l'histoire des relations de Dieu avec les hommes, et l'histoire de ce que Dieu dit et fait. Tous ces récits plus ou moins anciens ont des tas de choses à nous dire.
Ici, il est question d'alliance.
Résumé des épisodes précédents de la vie d'Abram, car tel est jusqu'à présent son nom. Il est appelé par Dieu à quitter sa ville d'origine, Ur en Chaldée, ville autrefois sumérienne, donc de très ancienne civilisation. Après avoir fait étape à Charan, il poursuit sa route et arrive en pays de Canaan. Quand il avait quitté sa patrie, il avait reçu trois promesses de ce dieu, qui n'était alors pas encore le sien : une descendance, un pays et une bénédiction.
Mais il doit quitter la terre promise à cause de la famine pour aller en Egypte. Après quelques péripéties, il retourne en Canaan. Il se sépare alors de son neveu qui avait voyagé avec lui et se trouve entraîné dans une expédition militaire d'où il revient vainqueur et reçoit la bénédiction d'un mystérieux Melchisédek. Alors commence notre récit.
Comme dans une première vignette d'une nouvelle page d'une bande dessinée,
on pourrait lire : "Ensuite...", ici on trouve ici : Après ces choses.
Mais, avec un jeu de mots dont l'hébreu a le secret, le mot est ici le
même que celui qui suit et qui dit : il y eut une parole de l'Eternel.
Chose, parole, parole, chose.
C'est comme si le texte disait : après les paroles ou choses précédentes,
c'est maintenant Dieu qui prend la parole, qui prend les choses en main.
Après les actes, les paroles d'Abram, voici ceux ou celles de Dieu.
Dans une vision, il parle à Abram, il s'adresse à lui.
Il commence par lui rappeler une des promesses : la bénédiction
: je suis ton bouclier, ta récompense sera très grande.
Mais voilà, pour Abram, la belle affaire. Lui se souvient des autres
promesses, surtout celle de la descendance.
Qu'est-ce que tu vas me donner ? Qu'est-ce que tu peux bien me donner ? Je n'ai
pas de descendance ? Je suis "nu d'enfant" comme disent certains traducteurs.
J'ai bien un héritier, mais ce n'est pas ma descendance.
Il y avait à cette époque une loi mésopotamienne qui permettait
d'adopter un héritier dans le cas d'absence d'enfant. Et quand il y avait
par la suite un héritier direct, l'adoption n'avait plus d'effet sur
l'héritage. C'est sans doute dans ce cadre qu'il mentionne son serviteur
Eliézer.
Alors Dieu lui rappelle encore sa promesse de descendance : ton héritier
sera bien ton descendant.
Et pour lui faire comprendre quelle sera cette postérité, il le
fait sortir dehors pour lui montrer les cieux, les étoiles, pour qu'il
puisse avoir une idée de cette descendance.
Il y a un certain nombre de choses qu'on ne peut réaliser qu'en sortant. Tant que nous restons dans notre coquille, il y a tant de choses que nous ne voyons pas, que nous ne pouvons même pas imaginer.
On retrouve d'ailleurs cette idée plusieurs fois dans le texte, où le mot sortir est cité 4 fois : l'héritier qui sortira de tes entrailles, l'Eternel qui fait sortir Abram dehors, qui a fait sortir Abram d'Ur en Chaldée, et un peu plus loin, ses descendants sortiront du pays qui les aura asservis.
Il est, me semble-t-il, important de comprendre qu'effectivement sans sortir de nos enfermements, il est impossible d'accéder aux promesses de Dieu. Ces enfermements peuvent être des enfermements dans nos culpabilités ressenties ou dans nos innocences proclamées. Mais tout ceci nous enferme. Laissons-nous tirer hors de nous-mêmes, hors de notre propre tente
Et c'est après cette sortie hors de sa tente qu'Abram confirme sa foi en Dieu. Littéralement, il dit Amen aux paroles de Dieu et à ses promesses. Et c'est cette confiance, cette foi, qui pour Dieu vaut justice, est justice, est compté, considéré comme justice. Non pas tel ou tel acte d'Abram, mais sa foi.
Et Dieu poursuit le rappel de ses promesses : Le pays où tu te trouves sera à toi.
Abram a confiance, il a foi en son Dieu, mais il a besoin d'un peu plus que cette parole. Dieu comprend qu'il a besoin d'un rite pour sceller cette promesse. Et il va le lui donner, sous la forme d'un rite antique d'alliance, rite qui est aussi cité par le livre du prophète Jérémie.
L'Eternel demande à Abram de lui prendre des animaux bien précis.
Abram est chargé de se les procurer pour Dieu. Ce point est absent de
la plupart de nos traductions françaises, mais il me semble là
aussi important de signaler que ce que fait Abram ici est à la demande
de l'Eternel et pour lui.
C'est donc pour lui qu'il se procure ces animaux, les tranche par le milieu
et dispose les morceaux chacun en face de son correspondant, chacun à
la rencontre de son prochain, pas n'importe comment. Il ne partage pas les oiseaux.
Cela ne se faisait sans doute pas.
Cette viande attire les oiseaux de proie, les charognards. Abram les chasse.
Il ne faut pas se laisser envahir par les idées, les choses, les gens,
qui ajoutent le malheur au malheur.
La description du rite se poursuivra plus tard.
Maintenant le soir arrive. Et on trouve ici une similitude de construction qui
rappelle le récit de la création de Génèse 1. Vous
vous souvenez : il y eut un soir, il y eut un matin. Ici, c'est le même
mot. Il y eut le coucher du soleil imminent, puis au verset 17 : il y eut le
couché du soleil accompli. Le temps passe et Dieu est maître du
temps. Il a créé la lumière, mais il fait aussi arriver
l'obscurité.
Il rappelle sa promesse avant de poursuivre le rite, il la rappelle et la précise. Il ajoute des informations. Il annonce un esclavage à venir pour les descendants d'Abram, esclavage qui ne durera qu'un temps. Mais cet épisode ne concernera pas Abram lui-même. Pour la possession du pays promis, les temps ne sont pas encore accomplis.
Une fois ces précisions données, Dieu termine le rite.
Dans la coutume, les deux partenaires de l'alliance passaient entre les animaux,
indiquant ainsi le sort que l'autre pourrait légitimement leur infliger
s'ils ne respectaient pas leur engagement.
Or, ici, seul Dieu passe entre les moitiés d'animaux. L'Eternel est le
seul qui s'engage. L'image de la fournaise et des flammes est une image de Dieu
qui se retrouve à d'autres endroits de la Bible, par exemple durant l'Exode.
C'est donc l'Eternel qui prend les engagements. C'est lui donne les promesses. Abram n'est pas passé entre les carcasses. Dieu ne le lui a pas demandé.
C'est Dieu qui s'engage. C'est Dieu qui donne la bénédiction, la descendance et le pays à Abram et à sa postérité.
Toute l'histoire du salut, toute l'histoire de la Bible, toute l'histoire de l'alliance entre Dieu et les hommes, tout est une initiative de Dieu. Tout est une action de Dieu. Tout est une promesse de Dieu. Tout est parole de Dieu. Et le bénéficiaire en est l'homme. Ici c'est Abram, c'est sa descendance, mais ailleurs c'est aussi tous les hommes.
Tout comme pour Abram, Dieu ne demande à l'homme aucun mérite, aucune caution. Il ne demande pas de prix. Il n'exige pas de serment.
L'amen d'Abram à ces promesses, s'il lui permet de se saisir de ces promesses, n'est pas une condition à l'existence de ces promesses. Le refus de ces promesses ne les annule pas, il les rend pour celui qui les refuse inopérantes.
Abram aurait pu se dire : je viens de gagner une bataille militaire, je peux me débrouiller tout seul ou avec mes alliés du moment, puisque les promesses ne viennent pas. Mais non, il a choisi de faire cette confiance, où il a parfois besoin de rappels, de confirmations, de signes. Mais il vit encore dans l'amen à Dieu, à ce Dieu pour lequel il a quitté sa ville riche et civilisée.
C'est un des épisodes de l'histoire des relations entre Dieu et les
hommes, des dialogues entre Dieu et les hommes.
Adam s'était caché, puis défaussé sur Eve, il avait
refusé la relation que Dieu n'avait pas rompu. Il est parti. Caïn
avait refusé la responsabilité de son acte et contourné
la parole de Dieu. Il a dû aussi partir. Aucun des deux n'avait à
priori été rejeté. Il s'est rejeté lui-même.
A la tour de Babel, les hommes ont voulu prendre la place de Dieu, se passant
donc de lui.
Dieu personnalise alors sa relation en s'adressant à Abraham et aux patriarches,
à Moïse puis aux prophètes. Ceux-ci n'ayant pas toujours
été écouté, il a dû en fin de compte envoyer
son fils pour montrer aux hommes que sa volonté reste une volonté
d'alliance, et une volonté d'alliance sans condition.
Mais comme pour l'alliance avec Abram, le seul qui s'engage, c'est Dieu lui-même. Et comme le seul rite que les hommes comprennent, c'est la violence, Jésus est mort sur une croix. Mais, il est ressuscité.
La nouvelle alliance est devant nous. Plus aucun rite à accomplir sinon des rites du souvenir. Tout a été accompli. Il reste à dire l'amen, le même que celui d'Abram. Non seulement il a eu victime, mais la victime a été Dieu lui-même. Et pourtant, il n'a pas failli dans son alliance. Ce n'est pas lui qui a failli. Ce n'est pas lui qui a oublié l'Alliance. Pourtant c'est lui qui est mort. Mais Jésus est ressuscité.
La promesse n'est plus celle d'Abram, bénédiction, descendance et pays, elle est promesse de relation, d'amour, avec Dieu, avec les autres hommes, et elle est promesse que cette vie avec lui n'est pas limitée par notre vie terrestre, elle est promesse de résurrection.
Je reprends donc :
C'est Dieu qui s'engage. A nous de lui faire confiance.
Pour cela, il nous faut sortir de nous mêmes et de nos enfermements.
Et enfin, il nous faut vivre des promesses de Dieu en leur disant l'amen de
la foi.
Amen.