Poitiers, 8 mai 2005

Gal 6:1-18

Chers frères et soeurs,

Voici donc le dernier chapitre de cette épître. Je lui donne comme titre "le chrétien et les autres." Je voudrais que nous puissions ensemble réfléchir sur ce texte et en tirer quelques règles de vie communautaires.

D'abord un regard sur l'organisation de ce passage.

Il est traditionnellement divisé en deux au verset 11, où Paul nous signale qu'il prend lui-même la peine d'écrire quelques mots. Mais, l'unité de ce texte me semble plus forte que cette division apparente.

Voici quelques éléments pour défendre cette idée au niveau des thèmes ou du vocabulaire : il commence et fini par le mot Frères. On retrouve au début et à la fin le terme porter. On parle de la loi au début et de la règle à la fin. Au verset 4 puis au versets 13 et 14 on parle de se glorifier.

Pour simplifier
versets 1 et 2 : exhortations
versets 3 à 5 : attention aux motivations
verset 6 : partage
verset 7 à 9 : récolte et moisson
verset 10 : partage, à nouveau
verset 11 : C'est moi qui écris dit Paul
versets 12 et 13 : attention aux motivations, à nouveau
versets 14 à 18 : exhortations, à nouveau.

Il faudrait peut-être que je sois un peu plus précis. J'avais donné comme titre "le chrétien et les autres". En fait, ce serait plutôt "celui qui a charge d'âme et les autres", parce qu'en fait, il s'agit ici de la responsabilité de ceux qui sont chargés d'enseigner la parole, mais aussi de soutenir les frères. Quoique ceci, c'est en fait la tâche de toute l'église, de chaque croyant. Mais j'en reparlerai.

Où se trouve le problème de départ ? Si vous vous en souvenez, c'est le motif même de l'épître. Ce sont ces croyants, sans doute des judéo-chrétiens, qui veulent imposer aux croyants non juifs la circoncision. Paul a bien insisté durant tout le reste de l'épître sur l'inutilité pour le salut de ce geste rituel juif. Le salut est donné par grâce, il est l'oeuvre de Dieu, il est passé par la croix. Il n'y a rien à ajouter.

Mais ce chapitre nous donne une clé, une motivation, pour cette insistance qu'ont ces hommes, ces croyants, à faire appliquer la circoncision : leur propre gloire. C'est à cet aspect que Paul veut répondre maintenant. Il veut opposer à cette attitude des responsables "méritocratique" une attitude du responsable "spirituel". Mais on se rend compte à la fin du chapitre qu'en fait tous les croyants sont appelés à être ces responsables "spirituels".

Paul a durant toute son épître, et dans d'autres aussi d'ailleurs, tancé ceux qui voulaient compléter l'évangile, ceux qui donnaient ordre et instruction à ceux qui n'étaient pas à leurs yeux "complets", à ceux à qui il manquaient quelque chose, la loi de Moïse.

Alors ici, il donne une contre-proposition, une recommandation alternative. S'il se trouve, que tu comprennes que l'un des frères soit en faute, qu'il ait dévié, qu'il ait un problème, ne lui tombe pas dessus à bras raccourcis, va vers lui avec douceur. Et relève-le, redresse-le, ne l'enfonce pas. Vous êtes mes frères. Il l'est aussi.

L'avertissement qui conclut ce premier verset peut nous faire penser à l'avertissement évangélique de la poutre et de la paille. Regarde d'abord où tu en es toi-même avant d'aller vers l'autre. Regarde bien ce que tu es. Tu n'es pas plus que lui. C'est justement parce que tu es spirituel, que tu ne dois pas tirer un quelconque mérite de cette opération. Mais il faut y aller. Portez les fardeaux les uns des autres. C'est d'ailleurs ainsi que s'accomplit la loi de Christ : aimez-vous les uns les autres.

Et Paul insiste : peut-être êtes-vous tenté par l'idée que vous êtes quelque chose, quelque chose d'important. Et pourtant, vous n'êtes rien. Alors pas de rêves de grandeur dans l'église. Rien que du service.

Et il insiste encore : si gloire pour vous il peut y avoir, ce ne sera pas par rapport à autrui, ni pour ce qu'autrui vous devrait. Car enfin, chacun est responsable de lui-même. De la même manière qu'il n'est pas possible de se défiler en disant que c'est la faute d'un autre, il n'est pas possible non plus de dire que le mérite pour l'état d'un autre pourrait me revenir à moi. Le poids de ma situation me regarde moi. C'est une affaire entre moi et mon Dieu. Si les frères sont appelés à partager mon fardeau quand il est trop lourd, ils ne peuvent pas s'attribuer un quelconque mérite pour cela. Rappelez vous ce cette phrase : "vous êtes des serviteurs inutiles, vous avez fait ce que vous aviez à faire."

La communauté chrétienne doit donc être, pardon est, une communauté. C'est à dire qu'elle partage. Ce qui va bien, ce qui va mal, et aussi l'enseignement de la parole, et aussi le soutien à ceux qui l'enseignent.

Nous en sommes maintenant au verset 7, et nous abordons ce qui est pour moi le noeud de ce passage, le noeud des motivations des actions chrétiennes.

Cela peut sembler évident, mais Paul rappelle que Dieu n'est pas dupe de ce qui nous pousse à agir. Il rappelle que nous obtiendrons ce que nous voulons, ou plutôt que les fruits de notre travail seront de la même nature que les motivations qui nous ont poussés.

Si notre objectif est pour le temps présent, il périra, comme le temps qui passe, comme nous-mêmes. Ce que nous récolterons connaîtra l'usure, la corruption. Des mots dont on comprend le sens dans cette situation, mais qui ont aussi un autre sens intéressant à méditer, en plus.

Si cet objectif est spirituel, il ne concerne plus le temps présent, ni notre propre personne, alors il concerne un autre temps, la vie éternelle. Et, ce qui est intéressant, c'est que Paul mentionne un autre mot pour le temps, qu'on pourrait penser incompatible avec la vie éternelle, kairos, le temps présent, l'occasion, le bon moment. Donc en fait, le temps pour préparer la vie éternelle, le temps pour faire le bien, le temps pour les autres, c'est le temps présent, c'est l'occasion qui se présente maintenant. Pas de calcul pour un temps postérieur où les bénéfices de nos actions pourraient nous profiter. Pas de planification de l'amour en action. C'est le temps présent pour la vie éternelle.

Et comme c'est important, ça, Paul nous précise que c'est bien lui qui écrit.

Et il reprend ce qu'il avait dit au début.

Tous ceux qui veulent vous faire circoncire n'ont comme objectif que des choses bien matérielles, être reconnus comme bien, comme ceux qui ont su imposer la soumission, et cela pourra leur permettre d'éviter la persécution. Même si eux n'observent pas entièrement la loi, le fait que vous vous soumettiez à la loi de la circoncision signifie qu'ils y attachent un grand poids, et votre soumission est alors leur victoire, leur gloire.

Et pourtant, c'est cette même croix, dont ils veulent éviter les inconvénients, la persécution, c'est ce qui fait pour Paul son seul sujet de gloire, sa seule motivation d'agir. Rien de ce qui concerne le monde et ses avantages corruptibles, et ses intérêts à l'usure rapide, rien de cela n'a de valeur. Ce n'est rien.

Ce qui est quelque chose, c'est d'être une nouvelle créature. Vivre dans le temps présent cette réalité, pour la vie éternelle, c'est cela la règle, la loi du Christ. C'est cela, et non pas la circoncision, et non pas la soumission des frères.

Au lieu d'ajouter des poids au fardeau de ton frère, soutiens-le, aide-le. Au lieu de penser à ta gloire, à ta valeur, c'est à dire à ton poids, pense à la croix du Christ, qui a tout porté pour toi, et alors tu pourras porter ton frère.

Tu peux porter la peine de ton frère, mais ne lui fais pas de peine, comme les Galates ont fait à Paul.

Et revoilà encore le mot porter. Paul porte les marques de Jésus. Paul a eu à souffrir les persécutions. Il n'a pas cherché à les éviter en manoeuvrant avec les frères. Il a sur lui ces marques. Et ces marques, qui sont portées sur le corps, étaient aussi les marques que portaient les esclaves. Paul, en utilisant ce vocabulaire, signale qu'il est un esclave de Jésus. Et ces marques-là, sur son corps, ont une autre valeur que celle que pourrait avoir pour un Galate une circoncision.

Paul termine enfin avec cette bénédiction qui appelle la grâce de Jésus, le Christ, Notre Seigneur sur nous et notre esprit, parce que nous sommes spirituels.

Paul, aurait-il pu écrire dans une épître à l'église de Poitiers quelque chose de semblable. Ne me dites pas non, je ne vous croirais pas. Nous avons tous au moins une fois regardé de travers tel ou tel frère ou soeur, membre de la communauté, pour ne pas parler des membres des autres communautés chrétiennes de la ville. Parce que nous n'étions pas en situation, nous n'avons exigé de lui, d'elle, quelque chose, mais l'idée était là.

Quelle église n'agit pas pour sa gloire ? Quel responsable n'aime pas les statistiques ? Une église qui grandit, c'est bien, non ? C'est bien, mais pour quelles raisons ? Pour sa propre gloire ? pour sa réputation ? Parce qu'elle peut devenir un exemple ? Et une église dont les finances sont prospères ? Pour quels objectifs ? Pour être citée en exemple ? Pour être consultée ?

Où est l'essence de l'église ? Qu'est-ce qu'un chrétien ?

L'église est là pour la gloire de Dieu, pour rendre un culte à Dieu. Elle est l'épouse du Christ.

Le chrétien a été mis à part, il est une nouvelle création. Il rend gloire à Dieu pour le salut reçu par grâce. Il témoigne de cet amour. En cela aussi il rend gloire à Dieu.

Nous savons tous que la grâce et l'amour de Dieu sont pour nous sans limite. C'est lui qui est notre vie. Son temps est notre temps : la vie éternelle pour sa gloire et comme notre horizon, le temps présent pour pratiquer le bien et soutenir les frères et les soeurs.

Nous voilà donc à la fin de cet épître.

Nous pensions peut-être y trouver une manière de régler des querelles dans une communauté chrétienne. Nous espérions peut-être y trouver la définition d'une liberté qui nous est donnée.

Et Paul termine par ce qui doit être notre motivation à tous, la gloire de Dieu.

C'est pour la gloire de Dieu que nous sommes appelés. C'est pour la gloire de Dieu qu'il nous faut nous aimer les uns les autres. C'est pour la gloire de Dieu qu'il faut faire le bien dans le temps présent, à l'occasion. C'est de la gloire de Dieu qu'il nous faut témoigner, et de la grâce qu'il offre à tous. C'est la gloire de Dieu qu'il ait tant aimé le monde, qu'il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu'il ait la vie éternelle.

Frères et soeurs, que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit.

Amen.

(Philippe Cousson)

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