Poitiers, 10 octobre 1993

Es : 25:6-9
Phil 4:12-20
Mat 22:1-14

     Les récits de noces, les allusions au repas des noces de l'agneau se retrouvent à plusieurs endroits du Nouveau Testament. Nous voici devant un de ces textes.

     Le Royaume de Dieu est semblable à. Ainsi commencent souvent les paraboles. Une manière de "il était une fois", comme dans les contes. Et cette fois ci, ce Royaume est en fête. Il n'est pas dit que le Royaume était en fête comme dans les contes. Il n'est pas dit que le Royaume sera en fête, comme dans les prophéties. Non, la fête, c'est maintenant. Le repas est prêt. L'invitation est confirmée.

     Je ne dis pas : l'invitation est lancée, car les invités sont déjà connus, déjà avertis à l'avance. Maintenant c'est le moment.

     Venant après deux autres paraboles, les deux fils et les vignerons, il est facile d'entrevoir l'interprétation directe des invités : Le peuple de Dieu, le peuple d'Israël d'alors. C'est le peuple élu, mais voilà, il a à ce moment là autre chose à faire, d'autres chats à fouetter, que de se rendre à la fête.

     C'est facile et confortable de trouver rapidement à qui colle ce portrait. Oui, mais voilà, ces invités sont-ils seulement ceux du peuple d'Israël ? Ou bien quelques oreilles ne siffleraient-elles pas ?

     Allons, voyons, nous aussi, croyants de vieille souche, dignes héritiers de la Réforme, quelle est notre réponse à cette confirmation d'invitation de Dieu ? Nous savons que Dieu nous a invité à son Royaume. Nous savons être dans son Alliance. Mais où est notre trésor ? Nos soucis, nos intérêts réels, sont-ils plus forts que l'appel du Royaume ? Je pensais bien venir à ta fête Seigneur, mais vois-tu, pas maintenant. Attends un peu.

     Et puis d'ailleurs, nous n'avons jamais maltraité tes serviteurs. Nous avons laissé parler ceux qui nous rappelaient tes paroles, tes appels, tes oracles. D'ailleurs, nous réservons toujours un moment pour t'écouter. C'est bon de t'entendre. Attends, c'était quand déjà le dernier contact ?

     Mais enfin, Seigneur, pourrais-tu te lasser de nous appeler, de nous rappeler, de nous rappeler à l'ordre ? Nous t'appartenons bien, Hein ?

     Le Roi, las des délais, des excuses, des refus, s'en va appeler ceux qui n'étaient pas invités. Pourquoi n'étaient-ils pas invités. Qui sait ? En tous cas, le fait est là. Le Royaume et sa fête s'adresse dorénavant à tous. Il n'y a personne d'exclu à priori, pour quelque raison que ce soit. On retrouve parmi ceux qui entre dans la salle les bons et les méchants. En fait l'état antérieur à l'appel n'a vraiment aucune importance. Aucun pédigré n'est demandé. Aucun certificat de baptème, aucune filiation. Tous ont été ramassés dans la rue. Pourquoi dans la rue et pas chez eux, je ne sais pas. Mais le texte ne cite aucune description, aucune indication sur une éventuelle appartenance sociale ou autre. Tous sont invités maintenant pour maintenant.

     La salle est pleine, on se bouscule. Et voilà, le Roi vient. Imaginons le cortège de micros, de caméras, de photographes, CNN en direct. Et plaf, celui qui n'est pas à sa place, celui qui gâche le tableau. Le touriste. Il est venu là pour voir, mais pas pour participer, pour se faire sa petite idée à lui de ce rassemblement. Il est venu sans s'être changé. Il est venu sans être changé. Le Royaume n'est pas un spectacle. Ce n'est pas un happening. Circulez, ici il n'y a rien à voir. Pas de place pour notre monde de voyeurisme, d'expériences variées.

     Pour la fête, il faut changer d'habit. Il faut changer d'habitude. Le Royaume, c'est une autre vie. La vie antérieure est finie. Rien n'est plus comme avant. Un trait est tiré quand on entre dans cette salle de banquet. Tout est alors nouveau. Personne n'est ce qu'il était avant. Chacun est un convive parmi d'autres convives, chacun est comme son voisin au bénéfice de cette invitation. Les critères antérieurs, les soucis antérieurs, les regrets antérieurs, tout doit disparaître. On est refait à neuf.

     Dans le Royaume, pour le Royaume, pour la fête prête, il faut de nouveaux habits. Il faut de nouvelles habitudes, de nouveaux réflexes. Seul compte l'invitation. Ce doit être le seul moteur du comportement, le seul fondement de la vie même.

     Mais, ces habits neufs, ces habits de noces, il y a bien une garde-robe où se changer, où les acquérir. Et n'allez pas vous imaginer que vous pourrez vous les acheter avec votre vie passée, avec vos mérites, avec vos B.A. Non, c'est beaucoup trop cher. Et d'ailleurs, je vous l'ai déjà expliqué, on n'entre pas ici avec sa vie passée, ni avec ce qu'elle représente, ni avec ce qu'elle vaut. Et puis, soyons honnête, cette valeur serait-elle vraiment positive ?

     Rappelez-vous l'explication de la parabole précédente, les vignerons. La clé c'était la croix et Pâques. Voilà l'endroit où il faut se changer, se dépouiller du vieil homme comme dit Paul, pour revêtir Christ, comme dit encore Paul. C'est entre la croix et Pâques que celui qui entre dans la salle de noces reçoit son nouvel habit, sa nouvelle vie. Et il ne la mérite pas. Qui le pourrait ? Personne ne peut s'acquérir le Royaume : trop cher ! Ni quelqu'un pour lui-même, ni pour ses descendants. Non le prix a été payé à la croix, à Pâques.

     Celui qui entre dans la vie du Royaume, dans la vie chrétienne ne doit plus compter sur lui-même, sur ce qu'il a valu, c'est à dire à bien réfléchir, souvent moins que rien. Il ne doit compter que sur Dieu, sur le Christ, sur la croix et sur Pâques. Rappelez-vous ce que disait Paul aux Corinthiens : Je n'ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous, sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié. Et plus loin : Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine

     A l'entrée de la grande salle, pour la fête prête, maintenant, il faut laisser les vieux habits, laisser sa vie ancienne, ses erreurs et ses prétendus mérites, il faut cesser de se regarder, il faut regarder à la croix, il faut regarder à Pâques, il faut se saisir des habits neufs, de la vie nouvelle offerte, et entrer franchement dans la joie du Royaume.

     Un chrétien n'est pas un héritier, un invité permanent, un rentier, qui pense qu'il aura plus tard sa part, et qui peut faire autre chose, penser à autre chose maintenant.

     Un chrétien n'est pas un touriste, qui passe sans rien changer, sans être changé, sans s'être changé, rien que pour voir, voir sans être vu si possible.

     Un chrétien, c'est celui dont la vie a été changée au détour d'un chemin, au coin d'une rue, à cause d'un appel, qui a bouleversé sa vie, qu'il l'a projeté dans une autre dimension, celle du Royaume, celle de la fête des noces du Fils du Roi, le festin des noces de l'Agneau.

     Tout le monde est invité à la fête du Roi, pour maintenant, en laissant les autres motivations, les soucis. Que l'on pense être invité ou que l'on pense être indigne ne serait-ce que d'un regard, que l'on pense que l'appel est pour les autres, ou que l'on s'imagine qu'il est sans intérêt, c'est à chacun que Dieu s'adresse, c'est à chacun qu'Il adresse son appel à prendre place dans son Royaume, dans la salle des fêtes de son amour, dans les parvis de son salut, à chacun. Il suffit de venir, d'abandonner ses oripeaux ou ses haillons de prétentions ou d'indignités, de prétentions et d'indignités, et de revêtir l'habit de noce, celui que nous confectionne le regard de celui qui invite.

     Dans le Royaume, pas de rentier, pas de touriste, des transformés.

Amen.

(Philippe Cousson)

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