(Condensed english translation, by Robert Brow)
Je vais tenter de vous présenter, dans le temps très court
qui m'est autorisé, ce qui pourrait être une approche protestante,
en essayant de vous faire sentir en quoi cette approche peut différer
de celles d'autres religions ou de la philosophie dominante dans notre monde
occidental.
Après avoir placé un peu le contexte, je tracerai un portrait
de la famille "idéale" des protestants, et puis quelques réponses
protestantes aux problèmes actuels de la famille dans notre
société.
Un premier point, évident pour les protestants présents, mais
pas forcément pour les autres. Le protestantisme ne reconnaît
aucune autorité humaine. Il n'y a personne qui puisse parler
d'autorité au nom du protestantisme. Il appartient à chaque
croyant de discerner ce qui est à croire et à vivre. Bien
sûr, il ne le fait pas dans le vide, à partir de rien.
L'autorité suprême, il en est une, reste la Bible, Ancien et
Nouveau Testament. Elle est Parole de Dieu, que chacun se doit
d'interpréter, à la lumière de sa foi, en communion
avec les autres. Il en résulte une diversité
d'interprétations, souvent complémentaires, parfois
contradictoires. Mais de cette attitude commune ressort un ensemble commun,
touchant à la foi, à l'éthique, à la vie
quotidienne.
Un autre point important à noter. Il n'y a pas à proprement
parler de droit protestant. Depuis le principe de la séparation des
deux règnes formulé par Martin Luther, les églises,
s'il elles ont souvent des paroles à dire, ne prétendent pas
régir la société. Le principe reste celui de la
démocratie, où les décisions et les lois doivent
résulter d'un consensus. Donc pas de statut juridique de la famille
ou du mariage qui soit formellement protestant.
D'ailleurs il faut constater que la famille, élément de base
de la société depuis la nuit des temps, varie dans sa forme
suivant les cultures, suivant les lieux ou les époques. C'est
essentiellement un phénomène social, ethnologique, auquel ont
été confrontés les missionnaires. Que faire devant une
structure familiale, qui ne correspondait pas à celle qu'ils croyaient
la norme ? Diverses réponses ont été adoptées.
Si on voulait tout de même donner une caractéristique de la
famille protestante, on en trouverait une, dont la coutume s'est beaucoup
atténuée. Je veux parler du culte de famille, qui a permis
au protestantisme de se maintenir en France durant les périodes sombres
de son histoire, depuis avant la Révocation jusqu'après la
Révolution.
On attribue au protestantisme une froideur prude, partant d'une image
complétement fausse du puritanisme. Pour les protestants, la
sexualité n'est pas un vice. Elle fait partie de la condition humaine.
Sa place se trouve dans le couple constitué, et pas uniquement dans
un but de procréation. Dans une communauté puritaine de Nouvelle
Angleterre, une femme est allé se plaindre à son pasteur, puis
à toute la communauté, que son mari délaissait leur
vie sexuelle. Et le mari a été exclu de la communauté.
Voilà bien une caractéristique protestante, le fait de ne pas
considérer le célibat, ni l'abstinence sexuelle, comme des
situations plus valeureuses que l'état d'homme et de femme mariés.
Le célibat n'est pas une vertu protestante.
L'anecdote précédente montre que pour les protestants, les
femmes ont dans la vie de famille et la vie de couple, un rôle égal
à celui de l'homme. Egalité n'est pas similitude, mais
égalité n'est pas subordination. A chacun sa place, à
égalité de droits.
Je terminerai cette première partie par un récit qui me semble
essentiel dans la pensée protestante, celui de la femme adultère
dans les Evangiles. On amène à Jésus une femme surprise
en adultère. On lui demande de prononcer la condamnation à
la lapidation. Lui, il demande à celui qui est sans péché
de jeter la première pierre. Les plus âgés s'en vont
les premiers, puis il ne reste plus que Jésus et la femme. T'ont-ils
condamnée ? Non. Et bien, je ne te condamne pas non plus, va et ne
pèche plus.
Voici donc quelques repères protestants sur la famille.
La famille se construit autour d'un pivot, un homme et une femme. Il se sont
liés par un engagement. Leur amour n'est pas, ou n'est plus, ce sentiment
qui vous prend et qui peut vous quitter. Aimer, ce n'est pas essentiellement
être amoureux, c'est aimer. Ce n'est pas un état que l'on subit,
c'est un verbe d'action, de volonté, de décision, de
résolution.
S'il n'est pas de droit protestant, il n'est pas non plus de mariage protestant.
Le mariage est social, civil. Pas seulement à notre époque,
beaucoup vivent ensemble sans avoir fait une quelconque cérémonie,
ni traditionnelle, ni officielle. Sont-ils mariés ? Pour certains
protestants, oui. Car une vie commune, et une vie sexuelle, sont déjà
la marque d'un engagement réciproque. Partager le toit et le lit n'est
pas anodin.
Si la relation du mari et de l'épouse est construite comme un engagement
réciproque d'amour, de respect, d'espérance, il en est ainsi
de la relation avec les enfants. Chacun a son rôle à tenir pour
le bien-être des autres. Chaque enfant a besoin de la présence
d'un père, d'une mère. Et dans la famille de croyants, ces
relations construites les uns avec les autres sont à l'image des relations
de chaque parent, puis de chaque enfant avec son Dieu.
Face aux problèmes familiaux, contemporains ou très anciens,
vous avez sans doute compris que du point de vue protestant, il y a deux
types d'analyses et de réponses : une analyse éthique,
théologique, et une analyse sociale, civile, citoyenne.
Prenons le cas des familles détruites, recomposées, parfois
plusieurs fois. L'éthique nous pousse à affirmer la permanence
nécessaire de la cellule familiale, mais, si la vie est impossible
à partager en couple, la séparation est préférable.
Il s'agit alors pour les amis, pour la communauté, d'accompagner chacun.
Il s'agit pour les membres de l'ancienne famille cohabitante de maintenir
des liens, les rôles de père et de mère pour les enfants.
Il ne s'agit pas dans la compréhension protestante de divorce par
consentement mutuel, qui laisserait à chacun la possibilité
quand ça ne lui chante plus, d'aller voir ailleurs. Mais puisque c'est
ainsi que fonctionne notre société, il nous faut en accueillir
les victimes. L'instabilité des ménages, si elle n'est pas
encore majoritaire, reste un des problèmes de notre société
libérale, je devrais parfois plutôt dire libertaire, avec parfois
de graves conséquences.
Certains préfèrent éviter un mariage officiel. Il
paraît, au moins à certains protestants, normal que la
société reconnaisse ce fait. Pour partie, ce nouveau statut
concerne aussi des couples hors du schéma habituel, des couples
homosexuels. Si l'éthique protestante ne reconnaît pas la relation
homosexuelle comme légitime, mais plutôt comme conséquence
de l'impiété humaine, les protestants affirment que la
société ne doit pas les marginaliser mais les accueillir et
les écouter. Cependant, les protestants ne comprendraient pas, pour
la majorité d'entre eux, que des enfants puissent être
élevés sans avoir autour d'eux un père et une mère,
donc de sexes différents.
Une autre cause du déchirement des familles est la survenue de la
désespérance économique. Le cycle bien connu,
précarité, chômage, divorce, et perte de logement, atteint
bien trop de personnes, et touche beaucoup trop d'enfants. La portée
de chaque décision politique, économique, est souvent très
lourde pour ceux qui la subisse, et les décideurs n'en tiennent pas
suffisament compte, quand ils en tiennent compte...
C'est cette logique égoïste qui conduit ce genre de décision,
qui conduit aussi chacun à mener sa vie de couple, de famille, en
fonction de ses propres intérêts personnels immédiats.
L'individualisme, décrit comme une des caractéristiques du
protestantisme, n'est pas égoïste. Il est engagement de l'individu
dans la société, dans la famille, dans le couple. Il construit
des relations à l'image de la relation d'individu à individu
que chaque croyant construit avec son Dieu. Il ne s'agit pas de prendre son
pied, puis d'aller voir ailleurs quand ça ne va plus. Il s'agit de
construire du solide, avec d'autres, avec les autres, pour les autres.
Mais, il est un autre point, sur lequel les protestants s'appuient, la
grâce, la possibilité de recommencer après un échec.
Le nouveau départ est toujours possible. Il est alors à la
fois promesse et engagement, promesse et engagement vers une vie nouvelle,
appuyés sur une promesse divine.