Poitiers, 29 juillet 1990

textes du jour (lus mais non utilisés)
1 Rois 3:5-12
Rom. 8:28-30
Mat. 13:44-52

Bien que je vous aie lu les textes proposés pour aujourd'hui, ce n'est pas d'eux dont je vais vous parler ce matin.
J'étais la semaine précédente en Suisse, au Louverain, dans une maison de l'Eglise Réformée Evangélique Neuchâteloise, pour le 40° congrès de la Ligue Chrétienne Espérantiste Internationale. Il se trouve que je suis depuis un peu moins d'un an le rédacteur de sa petite revue mensuelle.
Je ne vous parlerai pas ce matin de l'Espéranto, ni en général, ni de son usage en milieu chrétien. Je vais simplement essayer de vous faire partager ce que j'ai retiré de nos études sur le thème du congrès qui était : Dieu éternel, ici et maintenant. Vaste sujet, bâti autour d'une apparente contradiction. Une introduction nous a été donnée par un néerlandais, féru de langues classiques, et passionné par l'approche juive. Je ne prétendrais pas vous redire ce qu'il nous a dit. Après sa présentation, nous avons travaillé en groupes, et c'est ce que j'ai retenu de l'ensemble, introduction et travail de groupes, que je voudrais partager avec vous.
Le tetragramme, le nom hébraïque de Dieu, celui qui ne peut se prononcer entr'autre parce qu'écrit uniquement avec des consonnes, et que Segond a traduit par l'Eternel, les quatre lettres IHVH ou yod hé vav hé, ne sont pas un nom, mais plutôt un verbe : je suis. Dieu, l'Eternel, celui qui s'est révélé à Moïse, est celui qui est, ou même plus précisément celui qui devient, c'est à dire celui qui est toujours à nouveau, celui qui est maintenant, aujourd'hui. L'éternité commence maintenant. Aujourd'hui, c'est le jour de l'Eternel. Chaque aujourd'hui est son jour. Mais nos futurs de maintenant seront les aujourd'hui de demain. Le futur, l'espérance, commencent dès maintenant. Ce sont vraiment ici, et maintenant, qui conduisent vers demain, vers ailleurs, et vers quelqu'un d'autre.
Parce que, si Dieu, l'Eternel, vit ici et maintenant, avec nous, il faut faire attention. Nous avons un passé avec lequel il nous faut vivre. Nous ne pouvons le nier. Nous avons un futur à préparer. Il existe des ailleurs, d'autres hommes, que nous ne pouvons négliger. L'éternité de Dieu couvre aussi ces autres ici et maintenant, ces ailleurs, ces autrefois et ces demains.

Je vous lirai maintenant, et ici, ce passage très connu du Deutéronome, 30:12-14, où Il nous donne la clé de notre maintenant et de notre aujourd'hui.
.....

Dieu nous parle, ici et maintenant. Ce qu'il nous dit ne se trouve pas ailleurs, au delà des mers, mais ici, et plus précisément, dans nos coeurs, dans nos vies. Ce qu'il nous dit s'applique ici, à notre maintenant ; il ne s'agit pas de choses qu'il soit possible de remettre au lendemain.
Et c'est pour cela, qu'il nous faut écouter en permanence. Sa Parole n'a rien d'immuable ; ou plutôt, pour être plus juste, ce que j'en comprends aujourd'hui ici. Il nous faut sans cesse l'écouter. La grande prière des juifs commence par "Ecoute Israël".
Paul l'a dit : la foi vient de ce que l'on entend. Il est très important d'être très attentif. Le message que Dieu nous laisse est un message éternel dans son essence, mais il est pour le temps et pour le lieu où vit celui qui l'écoute. Il est cependant un certain nombre d'obstacles, qui font que nous pouvons être sourds à cette parole. La Bible parle de coeurs endurcis, de coeurs de pierre. Elle parle aussi de la circoncision des coeurs. Dieu n'est pas plus celui du catalogue de choses à faire, que celui des efforts à effectuer pour arriver à être différent, à pouvoir l'entendre, pour pouvoir l'écouter. Non, la circoncision des coeurs, c'est autre chose, c'est Dieu lui-même qui intervient, quand l'homme le laisse intervenir en lui. Alors Dieu le fait vraiment devenir homme, véritablement homme, capable de l'écouter. Le Christ a levés les obstacles, jusqu'en haut de sa croix, et cette conversion, en rendant l'homme homme, lui rend aussi son ici et son maintenant.
Les commandements de Dieu n'on vraiment rien à voir avec les règles immuables qui composent les cinq colonnes de l'Islam. Pour être soumis (c'est le terme) à Dieu d'après l'islam, il faut et il suffit, comme diraient les mathématiciens, d'accomplir scrupuleusement ces cinq principes, qui sont plus que des principes, mais une liste bien précise de choses à accomplir.
Non, la foi qui vient de l'écoute de ce que Dieu dit, qu'il place dans nos coeurs, ici et maintenant, n'a rien à voir avec un catalogue d'actions à faire, mesurables, enregistrables. Ce qui nous est demandé ce n'est pas de faire, mais bien d'être, de devenir. Cela ne s'apprécie pas en quantité mais en qualité. Alors notre existence, ici et maintenant, à l'écoute de sa parole s'ouvre au futur, au passé, à l'autre, à l'ailleurs. Et de toutes façons, le maintenant est tellement fugace. Dès qu'on a fini de prononcer le mot, il appartient déjà au passé.

Les mots des langues originales de la Bible et que nous traduisons en général par parole, ont en fait des sens beaucoup plus larges. LOGOS en grec, DAVAR en hébreu, à la fois parole et action, dire et faire. Dieu, l'Eternel est celui qui est, celui qui devient. Il est aussi et surtout celui qui devient homme, qui intervient dans l'histoire, dans la succession des ici et des maintenant, qui est devenu homme à un moment et à un endroit précis, qui s'est incarné en Jésus Christ, en Jésus Christ en qui la Parole est devenue chair, est devenu faire, est devenu action.
La Parole de Dieu, du Dieu l'Eternel, s'est mise à se manifester au milieu des hommes, dans leurs ici et leurs maintenant. Dans le grand théâtre du monde, la Parole a joué le rôle qui lui était attribué. Et Paul nous demande d'être ses imitateurs, comme il l'est lui même de Christ. Il a eu, et nous avons un rôle à tenir, et Christ est notre modèle. Il nous faut être présent, à la place où Dieu nous veut dans notre ici et notre maintenant, à l'écoute de sa parole. Dans le grand mime du cosmos, notre rôle va consister à donner une voix à cette Parole écoutée, à donner des voyelles au nom de Dieu qui ne s'écrit qu'avec des consonnes, à la rendre prononçable, audible, visible, palpable, la Parole éternelle, ici et maintenant, pour bientôt et ailleurs.

Amen.

(Philippe Cousson)

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