Romains 15:13
Chers frères et soeurs,
Je ne vous parlerai donc pas aujourd'hui des passages proposés, mais d'un seul verset, qui est assez souvent repris comme bénédiction à la fin d'un culte, Romains 15:13.
Que le Dieu de l'espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit!
Nous regarderons un peu ce passage, qui quoique très connu, contient quelques éléments remarquables. Et puis nous parlerons de l'espérance, et enfin nous réfléchirons à la signification pratique pour nous de cette bénédiction.
Premier élément : Le Dieu de l'espérance. Pas Dieu, simplement, mais Dieu, avec un qualificatif, un attribut, une caractéristique. Le Dieu de l'espérance. Ce qui veut aussi dire, s'il est LE Dieu de l'espérance, que les autres ne le sont pas, des dieux de l'espérance. C'est effectivement une des caractéristiques de la foi chrétienne que d'avoir un Dieu qui est un Dieu de l'espérance. C'est la même chose pour le judaïsme, avec une nuance.
Mais je veux aussi renverser l'image. S'il est le Dieu de l'espérance, c'est aussi qu'il n'y a pas d'espérance en dehors de lui, que toute autre espérance n'est pas une espérance véritable, n'est pas L'espérance.
En fait, déjà, cette expression fixe une équivalence fonctionnelle, dynamique entre Dieu et l'espérance : hors de Dieu pas d'espérance et c'est en Dieu seul qu'est possible l'espérance.
Je continue : vous remplisse. Il s'agit ici de remplir complètement, à ras bord. Il ne reste plus de place. C'est plein, complet.
En lisant de quoi nous serions remplis, de joie et de paix, j'ai rapidement
pensé à cette autre paire de mots couramment utilisés dans
d'autres bénédictions : la grâce et la paix. Et bien en
fait, on y est presque. Figurez-vous qu'en grec, les mots joie et grâce
sont de la même famille, dérivent du même mot, et sont même
très proches, au point de pouvoir apparaître comme un jeu de mot
ou une faute d'orthographe. La joie, c'est khara, kharas et la grâce
kharis, kharitis.
Il me semble que la proximité des expressions "la joie et la paix" et
"la grâce et la paix" n'est pas du tout fortuite. La joie, qui est la
nôtre, et que chante l'épître aux Philippiens, est bien le
résultat de la grâce que Dieu nous donne, avec la paix, qui nous
remplit, complètement. Ici, le jeu de mot est hébraïque,
le verbe compléter, achever, et la paix étant très proche,
différents d'une lettre : shalom et shalom. Tout ça
se tient, tout ça s'accorde, la joie et la grâce, la plénitude
et la paix.
Et nous voici maintenant à ce qui fut le coeur de la théologie de la Réforme, la foi. Parce que ce que nos prédécesseurs ont compris, c'est que la joie, la grâce, la plénitude, la paix, nous ne pouvons pas nous les procurer, nous ne pouvons pas nous efforcer de les atteindre. Ce n'est pas possible. Elle nous sont données par Dieu. Il suffit de le croire. C'est ce que veut dire : dans la foi. Le salut, la vie nouvelle, la joie, la grâce, la plénitude, la paix nous sont donnés. On peut y croire et s'en saisir, ou ne pas y croire, refuser d'y croire, et alors elles ne sont pas là, nous semblent inaccessibles. C'est ce qu'elles sont d'ailleurs alors pour nous-mêmes. Il est inutile de dire ou de faire quoi que ce soit pour les obtenir. Une telle démarche est vaine. Et pourtant c'est si simple. Il suffit de reconnaître qu'on ne peut pas y arriver, qu'on ne les mérite pas et qu'on ne pourra jamais les mériter, d'accepter de les recevoir de Dieu, pour les avoir. Le Dieu de l'espérance est là, avec sa joie, sa grâce, sa plénitude, sa paix. Seigneur, je ne suis rien et tu me donnes tout.
Et alors se passe quelque chose que décrit le verbe suivant, traduit par abonder, ce qui déjà est fort, mais insuffisant pour redonner la richesse du sens. Ce verbe est formé d'un préfixe et d'une racine. Le préfixe peri, qui signifie autour, en plus, et la racine seuô, s'élancer, lancer, pousser, mettre en mouvement, poursuivre. Il ne s'agit donc uniquement d'abondance, ce qui déjà est une amplification certaine du premier verbe remplir, mais cela va plus loin, il s'agit d'être mis en mouvement, de déborder, de se répandre, de s'étendre.
L'espérance que Dieu nous donne déborde, nous ne pouvons la garder pour nous, nous ne pouvons la contenir en entier, de la même façon que nous ne pouvons retenir la grâce, la joie, la plénitude, la paix, qui débordent, qui s'épanchent.
Et ce débordement, cette expansion, ne sont pas de notre fait. De même qu'il nous est impossible d'acquérir quoi que ce soit de Dieu, de même sans l'aide de Dieu, sans qu'il nous mette en mouvement, nous ne pouvons répandre cette grâce, ce salut, cette paix. C'est par la puissance de l'Esprit. C'est le mot grec qui signifie aussi force, et qui a donné en français dynamique.
Ce verset, quand il est utilisé comme une bénédiction, une exhortation, est utilisé à bon escient. Il s'agit effectivement d'une mise en mouvement. Il s'agit de laisser l'Esprit nous emporter pour répandre la grâce reçue. Et paradoxe, plus l'espérance, la joie, la paix se déversent autour de nous, plus nous en sommes remplis.
Que le Dieu de l'espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint-Esprit!
Le français a cette particularité d'avoir deux mots de sens proche, mais non équivalents, qui correspondent à un seul mot dans un grand nombre de langues : espérance et espoir. Instinctivement, vous comprenez la nuance, même si certains dictionnaires les donnent pour synonymes. Ceci peut paraître curieux à l'anglophone qui ne connaît que le mot hope, ou le germanophone qui ne connaît que le mot Hoffnung. Mais il y a même des langues, et des cultures qui ne connaissent ni l'un ni l'autre. C'est un problème auquel sont confrontés les traducteurs de la Bible, par exemple dans le monde hindouiste, où tout est cyclique, et où il n'y a rien à attendre qui sorte de la roue du temps, pas d'espérance.
Mais ce phénomène n'est pas limité au monde indien. Ne dit-on pas que notre civilisation moderne, post-chrétienne n'offre plus d'avenir, d'horizon à ses membres ? On entend souvent dire que le principal problème de nos politiciens est qu'il n'ont plus de vision d'avenir à proposer à leurs électeurs, sinon un bonne gestion du présent. Notre monde n'a plus d'espérance. L'horizon du christianisme s'est éteint au niveau de la société. L'horizon marxiste s'est auto-détruit. Et on ne peut pas dire que le libéralisme ou les nationalismes ouvrent des perspectives nouvelles aux hommes. Notre monde ne connaît plus l'espérance. Chacun se soucie plus de sa subsistance, parce que c'est une nécessité vitale. Chacun recherche une jouissance immédiate, parce que l'avenir est incertain, précaire. Quand l'avenir est bouché, quand la vie est ressentie comme une fatalité, quand le slogan est "no future", on se préoccupe de l'instant présent, et on n'attend rien du futur, et quand parfois on prend des engagements, on ne les tient pas forcément. Et même, la notion de développement durable est plutôt définie par une saine gestion du présent pour ne pas entraver l'avenir des enfants, au lieu d'êtres portée par un élan, une vision, une attente.
Je parle d'attente, d'abord parce que c'est aussi le sens du mot espérance. Et parce que l'espérance a un sens eschatologique, comme on dit. Il est attente, attente qui pousse à l'action, attente d'un avenir annoncé.
Et cette espérance est basée sur plusieurs choses. D'abord, les
promesses de Dieu. Promesses que nous partageons en grande partie avec les Juifs.
Rappelons-nous que l'hymne national israélien, dont nous connaissons
la musique puisque c'est celle d'un de nos cantiques : Oh Prends mon âme,
a pour titre l'espérance (Hatiqvah).
Mais cette espérance est pour nous surtout fondée sur l'oeuvre
de Jésus-Christ, sur sa mort et sur sa résurrection. La mort n'est
plus la fin. Un avenir différent est possible. Le pardon permet un nouveau
départ. Il est possible de s'engager dans une nouvelle vie, de se dégager
des noeuds qui nous liaient à notre passé.
Cette vie nouvelle que nous recevons, avec la joie, la grâce, la plénitude et la paix, est un engagement, un élan qui nous porte au partage, qui nous amène à propager cette espérance, à offrir des possibles à ceux qui n'en voyaient plus.
Le Royaume et la gloire de Dieu commencent ici et maintenant, quand le débordement d'espérance qui nous remplit, qui nous renverse, est porté autour de nous, est lancé autour de nous, quand notre liberté, notre libération des chaînes du passé, du péché, nous pousse à offrir, à proposer, à donner un horizon nouveau, une perspective nouvelle, une espérance, l'espérance que la grâce offre à chacun et qui dépasse tout ce qu'il était possible d'attendre de notre vie.
Mais alors, que retiendrez-vous quand je vous laisserai avec cette bénédiction, avec cette exhortation à la fin de ce culte ?
D'abord, que le salut, la grâce, la paix nous sont donnés par le Dieu de l'espérance. Je dis bien donnés, sans contrepartie, sans rien avoir fait en échange pour ça.
Et puis que tout ceci nous est donné, non pas en quantité mesurée, non pas selon notre mesure de foi, mais bien en abondance, en plénitude. Il nous faut le croire. La plénitude n'est pas en proportion de la foi. Si nous croyons, nous l'avons. Sans effort, ni prière spéciale. Il ne s'agit pas d'attendre d'être rempli de toute joie et paix, mais d'accepter que Dieu nous remplisse. C'est une promesse.
Et enfin, et surtout, il s'agit pour nous de déborder d'espérance. Non pas par nos efforts, par notre volonté, mais par la puissance du Saint-Esprit. Si nous comptons sur nos efforts, nous resterons timide, timorés ou velléitaires. Il faut laisser le débordement s'opérer, il faut laisser l'Esprit agir. Et l'espérance, la joie la paix que nous avons reçues seront répandues autour de nous. Ne les retenons pas. Ne les filtrons pas. Ne les canalisons pas. Et cet élan se traduira en actes, en paroles d'espérance.
Nous allons bientôt nous remémorer la résurrection du Seigneur. Ne l'oublions pas, Il est ressuscité ! C'est le fondement de notre espérance, l'objet de notre foi, la source de notre joie et de notre paix.
Amen.