Poitiers, 14 août 2005

Esaïe 56:1-8
Romains 11:13-32
Matthieu 15:21-28

Chers frères et soeurs en Christ,

De ces trois textes qui nous étaient proposés ce matin, je n'ai retenu qu'un morceau de phrase, un morceau de verset, cinq mots dans le texte original, la fin du verset 7 du chapitre 56 du livre d'Esaïe.

Une des versions françaises donne : Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples.
Je vais reprendre les cinq mots qui constituent l'original hébreu :

Ki : Car. C'est un mot de liaison dans un raisonnement. Il introduit un point de départ, ou une conclusion, ou une condition.

Béti : ma maison. Le mot qui correspond à maison, que l'on retrouve dans Bethléem ou Béthel, et qui désigne bien sûr la maison, le bâtiment, le logement, mais aussi ceux qui l'habitent, la famille au sens étroit ou large, ou même très large. Le mot se termine tout simplement par le suffixe du possessif, première personne. Donc : bét = maison, béti = ma maison

Bét-tefila : maison de prière. Un mot composé comme en comporte beaucoup l'hébreu. Maison, j'en ai déjà parlé, et prière, intercession, intervention, invocation, supplication. Donc bét = maison, tefila = prière, bét-tefila = maison de prière

Ikaré : sera appelé. C'est en fait un peu plus compliqué. C'est donc le verbe de cette phrase.
Il est à une forme qui revient à notre passif, à peu près, d'où la forme passive de la traduction.
La racine kara' est celle qui signifie : appeler, mais aussi crier, inviter, proclamer, convoquer, nommer, et en plus lire. C'est la même racine que dans le mot arabe qui a donné Coran. Il y a un homonyme qui signifie rencontrer, mais il n'a jamais été retenu par les traducteurs. Voyons maintenant le temps grammatical, qui est indiqué par les voyelles utilisées avec les consonnes de la racine. J'ai déjà dit qu'il s'agit ici d'un passif, mais qui peut parfois correspondre à une forme réfléchie. Et le temps donc est celui dit de l'inaccompli. Ce n'est donc pas à proprement parlé un futur, même si c'est cette forme que l'hébreu moderne utilise pour le futur. En fait il marque une action qui n'est pas achevée, qui se prolonge, qui se répète, qui dure.

Le-kol-ha'amim : pour tous les peuples. Le mot 'am est celui qui désigne un peuple, par exemple le peuple d'Israël. On retrouve par exemple ce mot, avec le possessif première personne et la négation dans le nom d'un des fils d'Osée : Lo-'ami. Dans notre verset le mot est au pluriel, 'amim, et avec l'article défini, ha'amim. Kol est le mot qui veut dire tout, chaque, tous, complet. Enfin, comme préfixe supplémentaire avant l'article, avant l'adjectif kol, il y a la préposition le, qui indique la direction, mais aussi le but, l'objectif. Donc : Le = pour, kol = tous, ha = les, 'amim = peuples, au pluriel, le-kol-ha'amim = pour tous les peuples.

Vous pouvez vous rendre compte de la complexité de la traduction. Dans ce cas il s'agit pour nous de passer d'une langue sémitique à une langue indo-européenne, ce qui ne simplifie pas la tâche, mais la difficulté reste la même à l'intérieur de la même famille de langues.

Et en plus, traduire n'est qu'une partie de ce qui est demandé pour un texte biblique. Il reste à l'interpréter et à le prêcher. Et c'est un labeur sans fin, sur lequel se sont penchés de nombreux commentateurs et prédicateurs depuis l'époque des textes jusqu'à maintenant. Rappelez-vous simplement Jésus ou Paul commentant les rouleaux dans les synagogues.

Voyons donc un peu ce qu'on peut retenir des ces quelques mots :

Car : C'est un noeud de raisonnement. Il indique un point de départ, un élément de base, une assertion sur laquelle s'appuyer. Il s'agit d'un point de consensus, d'un fondement de la théologie, de quelque chose pour construire une argumentation. La portion de phrase qui suit est donc essentielle. Et elle l'est. Elle est même pour moi une sorte de résumé de l'Evangile, en cinq mots, un ordre de mission pour l'Eglise et le croyant.

Ma maison : la maison de Dieu. C'est celle que Dieu construit : si l'Eternel ne construit la maison, ceux qui la bâtissent bâtissent en vain dit le psaume. C'est bien sûr le temple de Jérusalem. Mais ce temple a cessé d'être, mais pas cette parole. La maison de Dieu c'est aussi son peuple. La maison de Dieu, c'est aussi Jésus lui-même. Rappelez-vous du temple de son corps rebâti en trois jours. La maison de Dieu, c'est aussi l'ensemble des croyants, c'est aussi l'Eglise. Vous êtes le temple de Dieu. Cela peut être aussi, mais très accessoirement, ce lieu où nous nous retrouvons. La maison de Dieu, c'est donc tout cela, mais cela reste surtout la maison de Dieu, la sienne, celle dont lui seul peut dire : ma maison.

Une maison de prière : l'endroit où se tient la prière, l'intercession, la supplication, mais aussi l'invocation, l'adoration. Cette maison de Dieu, le l'emplacement ou les personnes, est un lieu de prière, est un espace tourné vers Dieu, où on s'adresse à lui. C'est un des rôles essentiels de l'Eglise, des croyants ensemble et individuellement, que d'être un lieu de prière, d'invocation, de louange, de culte. C'est une des fonctions essentielles de l'Eglise que de se tourner vers Dieu pour le prier, et pour lui rendre gloire. Oui, le culte, en tant que culte rendu à Dieu, est une des tâches de l'Eglise, des croyants, que nul autre ne peut remplir. C'est cela notre sacerdoce universel, à nous tous.

Sera appelée : ou bien annoncée, criée traduit Chouraqui, ou bien aussi pourquoi pas, lue. Pas de possibilité pour les croyants, pour l'Eglise, de passer incognito. Il est pourtant des circonstances, dans certains endroits, où il vaut mieux pour l'Eglise se faire discrète, à cause de menaces physiques certaines. Il reste des chrétiens persécutés sur la planète. Ne les oublions pas dans nos pensées et nos prières. Mais, chez nous, on est très loin d'en être là. S'il faut parfois observer une obligation de réserve, l'Eglise n'a pas à mettre la lumière sous le boisseau. L'Evangile qui nous fait vivre doit être annoncé, lu, proclamé.

Pour tous les peuples : voilà encore une affirmation biblique qui nous engage, qui doit nous pousser. La maison de Dieu, son évangile, son salut, sont pour tous les peuples. Ils ne sont pas plus réservés au peuple d'Israël qu'au peuple protestant. Ce passage, ce mot, nous affirme l'universalité de l'Evangile, de l'amour de Dieu. Il nous affirme que l'appel est adressé à tous les peuples. Il porte en germe l'appel de Jésus rapporté à la fin de l'Evangile de Matthieu, et que les anglophones résume par ce terme : Great commission : allez et faites de toutes les nations des disciples. Voilà une autre responsabilité de l'Eglise, que personne d'autre ne peut faire : proclamer l'Evangile de Dieu à tous les peuples, vers tous les peuples, leur dire, leur crier, leur lire, que la maison de Dieu est aussi pour eux. Mais vous avez pu constater que maintenant, il n'est pas nécessaire de partir au loin pour rencontrer tous les peuples, ce sont eux qui sont venus à nous. Mais la nécessité de l'appel reste. Y répondons-nous ? Sinon qui le fera ?

Vous voyez bien ce que je vous disais. Dans ces quelques mots, on retrouve l'essentiel sinon de l'Evangile, au moins la feuille de route de l'Eglise, des croyants, de chaque croyant.
Notre paroisse s'est penché sur son projet de vie. Il aurait sans doute pu se résumer dans ces quelques mots. On devrait y retrouver ces divers éléments :

Être une maison de Dieu : nous existons en tant que croyants, que communauté par et pour Dieu. Il est à l'origine de notre communauté, il en est le centre. De même pour notre vie personnelle. Nous nous définissons par rapport à lui. Nous dépendons entièrement de lui.

Une maison de prière : notre fonction en tant qu'Eglise est de rendre gloire à Dieu, de lui rendre un culte. C'est notre spécificité dans ce monde. C'est notre sacerdoce, c'est notre ministère, collectif et individuel. Collectif surtout, car c'est ensemble que nous formons cette maison de Dieu, cette maison de prière. C'est aussi notre rôle, notre sacerdoce, notre ministère, d'intercéder, de supplier, pour les autres. Ce n'est pas le ministère particulier de quelques uns qui se seraient mis à part. C'est bien la responsabilité de tous, et de tous ensemble. Et ce n'est surtout pas une responsabilité à laisser à ceux qui nous ont quittés et qui attendent la résurrection. La louange et l'intercession sont de notre ressort, c'est ce qui nous a été confié. Nous sommes une maison de prière.

Pour tous les peuples : une autre caractéristique de la vie de l'Eglise est cette tâche qui lui a été confiée aussi, celle d'annoncer la bonne nouvelle, de partager cet amour que Dieu nous a manifesté. C'est aussi un ministère qui est confié à toute l'Eglise, mais aussi à chacun, individuellement et collectivement. Appeler, proclamer, lire, invoquer, annoncer. Voilà un des chapitres essentiels dans lequel doit se projeter une Eglise, une maison de Dieu. Là non plus, il ne s'agit pas de s'en remettre à ceux qui en seraient les spécialistes, pasteurs, missionnaires, évangélistes, prédicateurs, visiteurs, et j'en oublie sans doute. Non, c'est collectivement, en tant que communauté, en tant qu'Eglise, que cette responsabilité nous échoit. A nous d'y répondre.

Je n'ai pas là notre projet de vie sous les yeux. Mais il me semble bien me souvenir que ces éléments s'y trouvent. Il ne manquerait plus qu'ils n'y soient pas. A quelle place ? Avec quelle force ? Que nous l'ayons mis par écrit ou pas dans notre projet de vie paroissial, ces quels mots sont notre feuille de route.

Les voilà donc ces mots d'abord dans une traduction un peu mot à mot et bancale : Car ma maison, maison de prière, sera annoncée pour tous les peuples, ou dans une traduction plus coulante : Car ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples.
Amen.

(Philippe Cousson)

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