Bois-Tiffrais, 30 juillet 2000

2 Rois 4:42-44
Ephésiens 4:1-6
Jean 6:1-15

De sa prison, Paul envoyait des lettres circulaires à des églises et à des groupes d'églises. Cette épître aux Ephésiens est du lot, bien que quelques uns doutent que Paul en soit directement l'auteur.
Vous êtes aujourd'hui rassemblés, de plusieurs paroisses. Voyons donc un peu ce l'apôtre peut avoir à dire à ces églises de la même région, ou pour nous du même consistoire.

L'objet de cet épître semble bien être l'unité de l'Eglise. Nous avons souvent entendu répété que l'Eglise des premiers siècles, des premières décennies, n'était pas si unie qu'on l'a longtemps cru. Ici, les problèmes apparaissent vraisemblablement entre les chrétiens d'origine juive et ceux d'origine païenne, grecque. L'apôtre y tient un discours de rassembleur.

Reprenons maintenant les six versets qui nous occupent ce matin. Autour de l'appel de la grâce, on trouve d'abord une exhortation à un comportement positif de chacun, puis une affirmation de la qualité de l'unité de l'Eglise.

Repassons donc en revue ces vertus, que l'apôtre attend des disciples d'Ephèse, et d'ailleurs, et qui, nous pourrons le constater, ne sont pas celles qui sont prônées à notre époque.
Il leur demande l'humilité. Etre humble, ne pas se mettre en avant, ne pas faire valoir ses propres qualités, réelles ou supposées, ne pas étaler son pedigree, ou ses diplômes. Cela reviendrait dans notre monde à s'éclipser, là où on demande à chacun d'être un gagneur, celui qui sait se vendre, celui qui sait se battre pour se faire sa place au soleil. Quel homme irait par exemple à une demande d'embauche dire à son éventuel futur employeur, je suis moins compétent qu'Untel. Dans notre monde qui devient ultra-libéral, même à un niveau très proche, la solidarité a tendance à disparaître avec les anciennes structures communautaires, qui maintenaient un lien et une solidarité, même si elles pouvaient avoir tendance à exclure les non-membres. Il n'est pas toujours facile à un chrétien qui veut être conséquent avec sa foi de se mouvoir dans un tel monde moderne.
Mais restons au niveau où Paul se situe. S'il demande l'humilité, c'est surtout dans la vie de l'Eglise. La communauté chrétienne est cette société où on voit d'abord les qualités des autres avant de réaliser les siennes éventuelles. C'est cette communauté où on vit de la grâce reçue ensemble, et non des mérites que les uns ou les autres se seraient acquis.
Il ne s'agit ici surtout pas de cette fausse modestie, où chacun tait ce qu'il pense être ses qualités tout en espérant fermement que les autres s'en apercevront et l'appelleront. Le plus souvent dans l'Eglise, l'appel à quelque place est une surprise, ou peut-être devrait l'être.

La deuxième vertu demandée est associée à la première, la douceur. Elle signifie que celui qui parle ne veut pas s'imposer par la force, ne veut pas imposer son point de vue. Ce qui n'est pas là non plus vraiment la caractéristique d'un comportement contemporain. On apprend à se battre dans la vie, on écrit des livres pour apprendre à convaincre. Notre monde ne vit pas vraiment de la grâce, mais plutôt de la lutte, le struggle for life. La défense de l'autre, la douceur envers l'autre, l'écoute de l'autre, si elles sont des vertus théoriques, ne sont pas vraiment des vertus pratiques. La loi de celui qui parle le plus fort est encore dans notre société la meilleure.
Mais dans l'Eglise, qu'en est-il ? La douceur y règne-t-elle ? Dans la paroisse, dans les synodes, dans les conseils, la douceur règne-t-elle ? Comment cherchons-nous à convaincre, à persuader ? Avec douceur ? C'est en tout cas ce que demande l'apôtre. C'est ce qu'il appelle marcher d'une manière digne de la vocation reçue.

Et la patience ? La patience est effectivement une vertu de notre monde, mais c'est celle du serpent, qui sait attendre le moment opportun, qui sait attendre l'occasion à saisir.
Mais la patience de l'Evangile n'est pas de la même eau. Elle est remplie de l'espérance de la grâce. Elle n'existe que par la certitude de la promesse. Elle est faite de confiance. De confiance les uns envers les autres, et de confiance en son Seigneur, en son Dieu. Elle est attente de la victoire, mais pas de sa victoire à soi, mais bien de la victoire du Maître. Elle n'est pas défaite de l'autre, elle est victoire de tous, pour tous.
Quelle est notre patience d'Eglise ? Est-elle faite d'espérance, de foi ? Ou bien est-elle résignation, qui attend la fin ?

Il nous demande aussi de nous supporter les uns les autres. C'est une des exigences de la vie civile. Quoi que... Les retours de manivelle, monnaies de ta pièce et autres petites vengeances font tout de même un peu partie de la vie, non ?
Mais de tout cela, l'apôtre ne veut pas dans l'Eglise. Il s'agit non seulement de supporter les caractères les uns des autres, ce qui n'est pas toujours facile, mais il s'agit de supporter aussi les erreurs, les fautes, même les attaques des autres. Le Seigneur ne nous a-t-il pas supporté plus que nous ne l'aurions fait nous-mêmes ? N'a-t-il pas fait à notre égard preuve de plus de patience que nous ne pourrions en avoir de nous mêmes ? Parce qu'il nous aime.

Et voilà une des clés : l'amour. Oh, le joli mot que voilà. Il est si souvent compris de travers. Je t'aime. Je ne t'aime plus. Je t'aime trop.
Parce que, voilà, dans notre monde moderne, l'amour est quelque chose qui se subit. Aimer est indépendant de la volonté. Aimer est de plus sélectif.
Mais ce n'est pas l'amour que Dieu nous donne, ce n'est pas l'amour que Dieu demande, ce n'est pas l'amour que l'apôtre demande. Aimer ne vous tombe pas dessus, comme ça, sans crier gare. Aimer est un ordre, un commandement. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Tu aimeras ton prochain. Maris, aimez vos femmes. Aimez-vous les uns les autres. Et le modèle, c'est : Dieu a tant aimé le monde. L'amour n'est pas involontaire. Il est en permanence choix, décision, espérance.

Conserver l'unité de l'Esprit. Cette unité qui existe entre vous, entre nous, parce que nous avons tous été appelés, les uns et les autres par le même Seigneur, par le même Evangile, pour la même espérance, il nous faut la conserver. A une époque où les relations humaines se distendent si facilement, l'apôtre nous appelle à conserver cette unité. Même plus, il nous demande de nous efforcer de conserver cette unité. Il y faut un effort, une volonté, un combat. Cela ne va pas de soi. L'unité de l'Eglise, même locale, ne va pas de soi. Mais ce combat, cet effort, ne doivent pas être au prix de la discorde, il faut que ce soit par le lien de la paix.

Pas la paix des accords humains, des compromis, mais bien la paix que Dieu donne, la paix que sa grâce procure, la paix de son salut, de l'espérance placée en lui.

Voilà donc les chrétiens dont l'apôtre nous dresse le portrait : humbles, doux, patients, se supportant les uns les autres, aimants, s'efforçant à rester unis, en paix les uns avec les autres et avec Dieu. Tout le portrait de nos églises. C'est bien ça, je ne me trompe pas. En tout cas, c'est ainsi qu'il nous exhorte à être. Soyons-le.

Et ensuite, il nous donne les caractéristiques de l'unité de l'Eglise.
Je vous rappelle que cette unité est autant celle de l'Eglise universelle, que celle de la paroisse locale, ou celle de notre communion, notre Eglise Réformée de France.

Elle est un seul corps. On y est, on y entre, on y reste quelques soient nos origines : paysans du Poitou, ou conjoint étranger, ou immigré venu de loin. A l'époque des apôtres, c'était, juif ou non juif. Qui que nous soyons, nous sommes tous du même corps, dont le Christ est la tête.
Et c'est le même Esprit, qui nous a appelés, chacun, pour nous faire comprendre cette grâce dont nous vivons. Même si nous en vivons parfois différemment.
Mais, nous sommes appelés à une même espérance. Ce salut qui nous a été donné, il est le même pour tous, et doit être annoncé à tous. Cette espérance est pour tous.
Nous n'avons tous qu'un seul Seigneur, c'est à dire, Jésus le Christ, mort et ressuscité.
C'est aussi là qu'est notre foi commune, qu'il est venu, mort et ressuscité, qu'il reviendra, que nos péchés sont pardonnés.
Nous avons aussi tous le même baptême, comme signe de cet amour, de ce salut, de ce pardon, de cette espérance reçue et proclamée, baptême d'eau, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Et nous savons tous, pour vivre de Lui, qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui nous a aimé, qui nous aime malgré ce que nous sommes, et que nous aimons et servons.

Tout parait alors très simple. Cette unité, avec toutes ces caractéristiques, elle nous est donnée. Il faut la recevoir. Il faut en vivre. A tous les niveaux, au niveau local, au niveau de la communauté locale, de la paroisse ; et au niveau des communautés différentes du même lieu ; au niveau de la communion de ceux qui partagent la même confession, ou qui ont décidé de se reconnaître les uns les autres, et enfin au niveau des l'ensemble des chrétiens.

Comment avons-nous l'occasion de vivre cette unité ? Comment réussissons-nous à vivre d'une manière digne de notre vocation avec les autres croyants ?

Pour ce qui est du niveau local, chacun connaît l'autre, ou croit le connaître... peut-être trop. Que chacun examine où il en est, et relise ces versets en voyant la vie de sa communauté.
Et au niveau supérieur de nos églises, quels sont les fonctionnements ? Emprunts de douceur, de patience, de paix : souvent. Toujours ?

Venons-en maintenant à ce que l'on appelle l'oecuménisme. Notre texte peut nous éclairer sur la manière dont il doit être vécu. Si je dis vécu, c'est que je parle de relations humaines. Vivre l'oecuménisme par procuration ne me paraît pas véridique. Il faut se connaître, se rencontrer, se reconnaître pour pouvoir commencer à vivre les exhortations et les affirmations que l'apôtre nous donne dans ce passage.

Il y a l'oecuménisme des théologiens, des responsables d'églises, de ceux qui ont l'occasion de se rencontrer au cours des grandes conférences, des discussions bilatérales, des colloques. Ils forment un groupe qui se connaît, qui en général s'apprécie. Mais ce qu'ils vivent, si c'est un oecuménisme certain, ce n'est pas le vôtre. Même si ils s'efforcent de vivre d'une manière digne de l'appel qu'ils ont reçu, ils ne peuvent le faire à votre place.

Il y a donc l'oecuménisme que vous vivez, que nous vivons. Nous autres, protestants français, qui vivons en diaspora au milieu d'un monde qui fut catholique romain, qui l'est de moins en moins, nous nous étions barricadés dans notre forteresse. Mais Dieu a réussi à nous forcer à la rencontre. Nous savons que nous avons beaucoup en commun. Nous savons que l'unité est : il y a un seul... Mais nous savons aussi que beaucoup de choses nous divisent encore. Nous savons que nos théologiens après avoir dégagé tous ce qui obstruait la compréhension réciproque, sont arrivés à un morceau consistant de divergences. Mais, malgré cela, il nous faut vivre l'unité au point où nous en sommes, avec ceux qui sont à côté de nous. Cela se vit. Au mieux ? A voir.

Mais, l'oecuménisme lointain, celui qui est vécu par les théologiens et responsables, parfois arrive jusqu'à nous. Les touristes, les jumelages, les échanges d'étudiants nous permettent des confrontations. L'Espéranto m'a permis de faire des rencontres chrétiennes au delà de celles que je puis avoir dans la région. Ce n'est plus alors une connaissance livresque d'une théologie différente, c'est une rencontre directe avec des personnes, c'est une écoute de l'autre, c'est un approfondissement nécessaire de sa propre compréhension. La fraternité chrétienne a alors beaucoup de visages différents. Le luthérien ou l'évangélique suédois, le baptiste écossais, le luthérien, le catholique ou l'adventiste allemand, le réformé ou le catholique hongrois, le hussite ou le catholique tchèque, le catholique ou le baptiste polonais, le luthérien lithuanien, l'unitarien ou l'orthodoxe roumain, l'uniate ukrainien ou l'orthodoxe russe, le catholique italien, le réformé, le catholique ou le remonstrant néerlandais. Autant de rencontres, autant d'amitiés, autant de visages de frères en Christ.

L'unité nous est donnée. Il nous reste à marcher d'une manière digne de la vocation que nous avons reçue, en saisissant les occasions qui nous sont données, même si nous savons que nos différences, même nos divergences, restent encore.

Amen.

(Philippe Cousson)

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