Poitiers, 13 janvier 2002

Matthieu 28:18-20
1 Pierre 2:4-5;9-10
Jean 17
Hébreux 13:15-16

Il y a quelques années de cela, j'avais acheté un livre anglais, de Michael Griffiths, dont le titre est "Cendrillon amnésique." Il y parle de la pertinence de l'existence et de l'action de l'Eglise. Voici l'explication du titre. C'est comme si Cendrillon se réveillait le matin de sa folle soirée, et, le soulier de vair à la main, ne parvient pas à se rappeler comment il a bien pu atterrir ici. Il imagine que l'Eglise se trouve dans la même situation, ne sachant plus qui elle est, ni ce qu'elle a à faire.

A l'aide des textes que nous avons lu, proposés par la brochure de la semaine universelle de prière pour la journée d'hier, je vais essayer de faire ce travail de l'amnésique qui va tenter de retrouver la mémoire, de retrouver qui il est, pourquoi il est là, et ce qu'il a à faire.

Donc, qu'est-ce que je fais là, ce matin, debout devant vous ? Qu'est-ce que vous faites là, assis devant moi, à m'écouter, en principe ?
Afin de faire revenir la mémoire, regardons autour de nous. Quel est le décor de cette grande salle? Des bancs dans un bâtiment un peu grandiose, haut, large. Derrière moi, au mur une croix, une grande croix. En dessous de la croix, une mention de Dieu, pardon, deux mentions de Dieu. Un pupitre où j'ai posé mes papiers. Une chaire qui ne sert plus souvent. Une table, sur une estrade, avec des coupes et des plats, du pain et du vin, une Bible et des fleurs. Des plantes vertes, et là haut, derrière vous, un orgue.
Dieu, la croix, la Bible, le pain et le vin : nous sommes ici à cause de Jésus, appelé le Christ. Nous sommes rassemblés ici par ce que nous le connaissons tous et chacun. Parce que chacun d'entre nous, un jour, a décidé qu'il faisait partie de sa vie. Parce que ce jour là, une étape a été franchie dans notre vie, un tournant a été pris, un virage, une conversion comme on dit au ski parait-il. Jésus-Christ est maintenant, depuis ce temps-là, dans une relation personnelle avec chacun d'entre nous.
Mais cela ne suffit pas pour justifier notre rassemblement ce matin. Comment se fait-il que nous nous soyons donné rendez-vous ? Car ce n'est pas par hasard que nous sommes ici, à part peut-être une ou deux exceptions. Si c'est votre cas, soyez le bienvenu. Je reprends. Nous nous sommes réunis, parce que nous avons une appartenance commune, nous formons une communauté, celle des disciples de Jésus-Christ, parce que nous avons choisi de vivre cette relation, de vivre notre foi avec d'autres, de la partager avec d'autres. Et même plus, ici ce matin, il y a des membres, des participants de plusieurs communautés de ce type. Chacune de nos communautés a son histoire, mais il se trouve que ce matin, nous avons voulu vivre un moment ensemble, pour partager avec d'autres, avec d'autres qui ont le même Seigneur en commun, qui reconnaissent en Jésus-Christ le même Sauveur.

J'ai à peu près fait le tour de ce que chacun est, et de ce que nous sommes ici. Mais pour y faire quoi ? Pourquoi nous rassembler le Dimanche matin entre nous, entre soi (ou le Samedi pour d'autres) ? Et pourquoi nous être en plus ce matin réunis à plusieurs collectivités ?
Depuis le début de cette rencontre, nous avons chanté, prié. Nous sommes ici pour la louange de Dieu, du Dieu de Jésus-Christ. Et nous sommes aussi réunis pour l'écouter. Nous venons de lire sa Parole, ce qu'il nous dit dans la Bible. Et j'essaye de vous transmettre ce que je crois qu'il me demande de vous dire, et de me dire, car le prédicateur se prêche aussi à lui-même. Et nous lui adressons aussi la parole, en intercédant pour les autres, pour les frères et soeurs en Christ et pour le monde. Mais aussi, nous sommes réunis pour être réunis, parce que cela fait partie de ce qu'il nous a demandé. Nous sommes réunis pour la communion fraternelle. Parce que notre présence manifeste aussi que nous nous considérons frères et soeurs, enfants du même père, même si nous ne vivons pas durant toute l'année notre foi sous le même toit ecclésiastique.

Et pourtant, je suis bien loin de la réponse à ma question. Qui sommes-nous ? Non pas individuellement, non pas même chacune de nos communautés. Mais collectivement, qui sommes-nous ? Et d'ailleurs il faut inclure d'autres, qui ne sont pas ici ce matin. Qui sommes-nous ? Nous sommes l'Eglise.
Bon, d'accord, nous sommes l'Eglise, mais c'est quoi l'Eglise ? C'est l'ensemble des croyants. Je vois qu'il y en a qui se souviennent de leur catéchisme. C'est l'épouse promise au Christ. Bien, c'est plus théologique. C'est le Corps de Christ. Exact aussi mais peut-être pas plus clair au novice. Qui construit et appelle l'Eglise ? Dieu, le Saint-Esprit. L'Eglise a donc été appelée, rassemblée, réunie, convoquée. Elle est effectivement un corps, constitué de différents membres, mais un corps, avec son unité, son intégrité. Et ce corps a une tête, le Christ. Encore lui ? Il est la tête, le corps, l'époux, tout ça à la fois. Ça fait peut-être un peu beaucoup. Bien sûr tout ça, c'est des images, mais elles ont toutes leur valeur, et nous en comprendrons un jour pleinement le sens. Retenons l'appel, sa constitution autour de Jésus-Christ, et sa vocation.
Parce qu'enfin, si nous savons ce que nous sommes, comment nous le sommes, savons-nous ce que nous avons à faire, nous l'Eglise ? Connaissons-nous notre rôle, un peu comme au théâtre ou au cinéma ? Avons-nous compris notre vocation ? Quelle est notre place ? Pourquoi Dieu s'est-il suscité une Eglise, un autre peuple ? Parce qu'il a voulu par ce moyen montrer aux hommes ce qu'il est. Il avait besoin de témoins de son Amour. L'Eglise est là pour être témoin de l'Amour de Dieu pour les hommes, pour le monde.
Parce que même si les hommes n'en ont pour la plupart rien à faire, Dieu les aime, et continue à les aimer. Ça nous le savons, n'est-ce pas ? Cet amour nous le connaissons. Nous en vivons. C'est bien ça ? Nous sommes rassemblés parce que Dieu nous a aimés le premier, et ne cesse de nous aimer. Oui bien sûr aussi, nous l'aimons, et nous sommes venus le lui dire. Mais l'essentiel reste quand même que lui, il nous aime.
Mais alors, comment l'Eglise peut-elle s'y prendre pour annoncer au monde, aux autres hommes, cet Amour de Dieu pour eux ?
Eh bien, d'abord, par l'amour que nous avons les uns pour les autres... parce que, bien sûr, nous nous aimons les uns les autres. Y a-t-il quelqu'un qui m'aime ici ce soir, pardon, ce matin ? Y a-t-il ici quelqu'un qui n'aime pas quelqu'un qui est ici ce matin ? C'est un des ordres de Jésus à ses disciples, et à nous par la suite. Vous vous en rappelez, si vous connaissez bien votre Bible. A l'amour que vous aurez les uns pour les autres, tous connaîtrons que vous êtes mes disciples.
C'est bien vrai ça, que le monde voit, sait, que les chrétiens sont des gens qui s'aiment ? Vous croyez ? J'ai parfois l'impression que dans l'histoire, et même encore maintenant, et même très près d'ici, l'amour des chrétiens les uns pour les autres est parfois loin d'être évident, d'être voyant, d'être visible. Aurions-nous oublié ce que le Seigneur nous demande ? La Bible est toujours là. Elle est lue régulièrement, parfois très souvent. Et pourtant... Quelle mémoire sélective nous avons. La mémoire vive est parfois devenue mémoire morte. Les informaticiens comprendront.
Mais les textes proposés par la brochure nous donnent aussi un autre signe, par lequel nous devons manifester l'Amour de Dieu, par lequel l'Eglise doit manifester l'Amour de Dieu : les "oeuvres bonnes", la bienfaisance. On lit même que ces oeuvres ont été préparées. Voilà encore où l'Eglise est attendue. Voilà encore ce qu'elle a à faire.
Aux versets 15 et 16 d'Hébreux 13 que nous avons lu, on retrouve trois éléments que j'ai abordés: la louange (ce que nous faisions tout à l'heure), la bienfaisance, et aussi l'entraide, c'est à dire l'amour les uns pour les autres en actes.

Mais, c'est bizarre. J'ai l'impression d'avoir oublié quelque chose. Qu'est-ce que j'ai bien pu oublier ? Le Saint-Esprit nous a réunis autour du Christ, nous louons Dieu, nous nous aimons les uns les autres, nous pratiquons la charité. Qu'est-ce qui manque au système ? Comment le Saint-Esprit s'y est-il pris pour nous appeler ? Un jour, quelqu'un m'a expliqué que... Ça y est. On appelle ça la proclamation de l'Evangile.
C'est quoi ça, la proclamation de l'Evangile ? Et c'est à qui de faire ça ? Au pasteur ? Au croyant militant ? A chacun ? Oui, certes. Mais, il me semble qu'en fait ce n'est pas l'affaire de chacun, mais bien l'affaire de tous. La proclamation de l'Evangile, c'est l'affaire de l'Eglise. Dans certains milieux, on appelle cela avec un anglicisme charmant "la grande commission", c'est à dire en fait "la grande tâche". Mais je trouve que trop souvent le silence gêné remplace la proclamation.
Cette proclamation est annonce de la Bonne Nouvelle. Mais ce n'est pas comme une information au JT de 20h. Il ne s'agit pas uniquement de dire : Dieu vous aime, ou même Jésus est mort sur la croix et ressuscité. Il s'agit en plus d'appeler, d'appeler à un changement, à une conversion. Faire des disciples, c'est appeler à quoi ?
D'abord appeler à la réconciliation avec Dieu. Non pas que Dieu soit à priori fâché, non pas que Dieu ait rompu les ponts. Mais bien plutôt, que l'homme, ou la femme, ou l'enfant, a rompu les ponts, refuse de regarder, d'écouter Dieu, et un peu comme Adam et Eve, se cachent de Dieu. On peut au choix l'écarter de son chemin, ou même lui refuser l'existence. Cette vie sans Dieu, et par conséquens contre Dieu, c'est cela le péché. Et c'est ce péché qui a été la cause de la rupture, rupture d'un lien que Dieu veut rétablir. Dieu a tant aimé le monde... Oui, je sais vous connaissez, Jean 3:...
Si c'était aussi simple... oui mais voilà, l'homme est ainsi fait, qu'il s'imagine que pour renouer avec Dieu, il a besoin, en quelque sorte, de l'amadouer, qu'il a une dette à payer pour que Dieu accepte, daigne l'accueillir. Mais l'Evangile, la Bonne Nouvelle est toute autre. C'est la grâce. Dieu nous sauve par grâce. Il serait vain et stupide de s'imaginer capable d'atteindre la sainteté et la justice de Dieu par nos efforts. Celui qui le croit devra réaliser qu'il perd son temps et perd sa vie ainsi. La grâce, le salut par grâce, c'est que Dieu accueille celui qui simplement se tourne vers lui, en reconnaissant qu'il n'en peut mais, et en acceptant cet Amour proprement incroyable, manifesté par la mort sur la croix.

Jésus sauve, était un slogan il y a quelques dizaines d'années. Sauve de quoi ? Souvenons-nous. Souvenons-nous de ce qui nous hantait avant de nous être tournés vers lui, avant d'avoir reçu cette grâce et d'en vivre. Nous vivons tous, déjà de cette vie nouvelle. Le salut est déjà notre lot, dès à présent. C'est aussi ce que l'Eglise a à annoncer. Que le salut est pour maintenant. Que la vie peut devenir nouvelle, transformée. Oui, je sais, tout n'est pas complètement rose tout de suite. Les théologiens parlent de sanctification, d'édification. Mais quel virage ! Quel changement de direction !
Et puis aussi, c'est encore une inquiétude de la plupart des contemporains, ça l'était de Luther ou des Thessaloniciens, après la mort... ? Ce n'est pas une question à évacuer. D'abord parce qu'elle touche beaucoup de gens, et puis parce que la Bible en parle. Où est le salut, là dedans ? Dans la résurection. Nous avons une espérance, elle s'appelle la résurection. Non pas la réincarnation, non pas la transmutation des âmes, mais bien la résurection. Si Christ est ressuscité un jour, nous ressusciterons aussi. Voilà une autre parole à proclamer.

La déclaration de foi de l'Alliance Evangélique, lu il y a quelques minutes, en a sans doute fait sursauter quelques uns, surtout dans son dernier item. Mais voilà, il faut que chacun soit honnête. Il est légitimement possible de comprendre l'étendue du salut que Dieu offre comme vaste ou étroite suivant l'interprétation que l'on a des textes bibliques. Qui sera sauvé ? Qui ne le sera pas? On peut préférer une interprétation, ou une autre. Le seul problème, c'est quand cette interprétation interfère avec la tâche, la responsabilité principale de l'Eglise, la proclamation de l'Evangile, et l'appel à devenir disciple.

Alors, rappelons-nous, souvenons-nous.
Nous qui sommes rassemblés ici ce matin, nous sommes des rachetés par grâce, des membres de l'Eglise, nous sommes l'Eglise. Nous sommes réunis pour louer Dieu, pour écouter sa Parole, pour vivre une communion les uns avec les autres. Notre tâche d'Eglise, c'est de rendre témoignage de l'Amour de Dieu, en nous aimant les uns les autres, en pratiquant la bonté, et surtout en proclamant la Bonne Nouvelle du salut gratuit en Jésus-Christ. Ce n'est pas la tâche de telle ou telle personne. Ce n'est pas la tâche de tel ou tel groupe ou équipe ou communauté, c'est bien la tâche de l'Eglise, toute entière, toute ensemble.

Au boulot !

Amen.

(Philippe Cousson)

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