Poitiers, 11 septembre 2011

Matthieu 18:23-35

Chers frères et soeurs,

Nos écrans de télévision sont, ces jours-ci, pleins de commentaires et de souvenirs de l'attentat de New York d'il y a précisément 10 ans. Cet événement a effectivement marqué notre monde comme l'avait fait une dizaine d'années avant lui la chute du Mur de Berlin et la fin du communisme presque partout. Nous étions pleins d'espoir. Le 21e siècle s'annonçait bien, et puis il y a eu en Europe les guerres en ex-Yougoslavie. Et puis il y a eu le 11 septembre. Et depuis il y a encore eu plusieurs crises économiques, la crise asiatique, la crise de la bulle Internet, celle de la bulle immobilière dite des Sub-primes, et la crise actuelle des dettes souveraines. Et il y a eu des guerres de plus, en Irak, en Afghanistan, et l'anarchie en Somalie avec la famine et la piraterie. Et récemment les révolutions arabes. Tout cela correspond bien au titre d'un livre d'Alexandre Adler, J'ai vu finir le monde ancien.

Les Américains ont l'habitude de citer cette date par deux nombres 9/11, 9/11, le mois puis le jour. Un pasteur américain, Max Lucado, a publié en 2007 un livre pour contrebalancer ces chiffres par d'autres qu'il présente comme les chiffres de l'espérance 3:16, 3:16 comme Jean 3:16, verset très connu, puisqu'il figure dans le préambule de notre confession de foi.

Mais, me direz-vous, où est le lien avec notre texte ?

Une dette, c'est d'abord un crédit, c'est à dire une manifestation de confiance, d'espérance. Mais que se passe-t-il si cette confiance est remplacée par la méfiance, la défiance, la convoitise et le sentiment d'injustice ? Tout le système s'effondre. S'il n'y a plus de confiance, il n'y a plus de crédit, il n'y a plus d'espérance, l'avenir est obscurci. Le marasme, la morosité et le désespoir s'installent. Et la porte de sortie paraît hors d'atteinte. Alors les vieilles solutions illusoires reviennent, le nationalisme, le rejet de la différence, la simplicité des systèmes autoritaires ou dogmatiques. Chacun défend son bout de gras, contre les autres s'il le faut, contre ceux qui sont différents. La solidarité devient identitaire. Ce n'est en fait guère différent d'une attitude terroriste.

Notre texte est une parabole qui nous parle d'une dette. Il faut cependant se méfier de certaines clés de lecture qui sont apportées de l'extérieur.

Quand ce texte parle de dette, il utilise un mot qui veut aussi dire, engagement, ce qui est en fait aussi un synonyme en français. Le verbe être débiteur veut aussi dire, ce qui est aussi un synonyme, être redevable. Mais être redevable, c'est aussi autre chose que de devoir de l'argent. On retrouve ce même mot en Matthieu 6, j'y reviendrai.

Pour mettre fin à cette dette, il y deux verbes utilisés avec des points de vue et des sens différents.

Le verbe qui décrit la fin de la dette de la part du maître, c'est remettre ou encore laisser aller. Il indique la fin de cette dette et la liberté pour celui qui n'est alors plus débiteur ni redevable.

Le verbe qui décrit la fin de la dette de la part du débiteur, c'est restituer, rendre. Tant que l'équivalent du montant de la dette n'a pas été redonné, la dette est toujours là.

Parmi les traductions françaises que j'ai consultées, seules celles de Chouraqui et des Témoins de Jéhovah mentionnent le fait que le texte indique que le roi de la parabole est un homme. Attention donc, ce roi n'est pas Dieu. C'est un homme roi. Ce texte est une parabole. Ce n'est pas une parabole sur le jugement. C'est une parabole sur le pardon, en réponse à une question de Pierre.

Voici donc un récit à trois personnages principaux et quelques acolytes. Le roi, un homme dont beaucoup sont redevables, comme le sont beaucoup envers ceux qui ont argent, pouvoir, influence. Il fait, pour une raison qui n'est pas indiquée, un bilan de tout ceci. Il trouve que l'un de ses serviteurs lui est redevable d'une somme gigantesque, argent prêté ou avantages cumulés. On a entendu des affaires de ce style encore récemment. On voit comment celui dont on est redevable est alors fondé à exiger certaines choses. Ici, le maître s'aperçoit que son débiteur, son obligé, n'a plus les moyens de lui rapporter quelque chose, de lui restituer ce qui est dû. Alors, il ordonne de se saisir de ses biens, de lui-même, de sa femme et de ses enfants.

C'est la fin des avantages pour ce serviteur. Alors, il supplie son maître, il lui demande d'être magnanime, de continuer à être magnanime. Et il s'engage à lui restituer, à lui rendre cette somme qui le dépasse, sans vraiment réaliser que c'est impossible.

Le maître donc, ému aux entrailles, décide de le délier, de le libérer, non seulement lui-même personnellement, mais aussi de le libérer de sa dette, de son obligation. La dette est remise. Il n'y a plus de créance.

Mais voilà que le serviteur n'a rien compris. Il n'a pas compris qu'il n'avait plus de dette envers son maître, plus aucune obligation. Il est toujours resté dans l'idée de restituer cette somme impossible. Et tous les moyens sont bons. Il se souvient d'un de ses compagnons qui lui est redevable d'une somme déjà coquette mais sans commune mesure avec son ancienne dette, pardon, avec sa dette, puisqu'il n'a toujours pas compris que cette dette était remise. Il exige la restitution de la dette de son compagnon, avec moyens légaux de coercition.

Sur l'intervention d'autres serviteurs, il est rappelé par le maître. Celui-ci le déclare mauvais, ce qui veut aussi dire d'une certaine manière que quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête. Il est mauvais, méchant, mais aussi il ne va pas bien. Du style : ça ne va pas, non ! Puisque tu n'as pas compris, puisque tu penses que tu me dois toujours cette somme faramineuse, eh bien, je te la réclame, et non seulement par l'esclavage mais aussi par les bourreaux.

La conclusion que donne Jésus a ses équivalents dans le chapitre 6 du même évangile, par deux fois, au verset 12, dans une des phrases du Notre Père, puis au verset 14.

La version du Notre Père est la plus proche de notre passage, parce qu'il s'agit alors de dettes remises. Le texte dit en fait quelque chose comme : Remets-nous nos dettes comme nous aussi nous avons remis à nos débiteurs. Pas question ici d'offenses, comme dans la version "officielle".

Mais le verset 14 qui suit le Notre Père chez Matthieu dit : Si vous remettez aux humains leurs fautes, leurs erreurs, leurs revers, votre Père céleste vous remettra aussi, vous libérera aussi. Et cela continue en négatif au verset 15 : Mais si vous ne remettez pas aux humains, votre Père non plus ne remettra pas vos fautes, vos erreurs. Ici non plus, pas question d'offense, pas question de mal subi de la part des autres.

Par contre, Pierre, dans sa question qui précède notre passage et l'introduit, utilise le mot péché, c'est à dire le fait de manquer le but, de manquer la cible, de se tromper, de se méprendre. Mais il parle lui aussi de remettre, d'abandonner les poursuites.

Contrairement aux versets de Matthieu 6, ici dans cette parabole, il n'est pas question d'une quelconque dette envers Dieu. Il est question de nos revendications envers les autres hommes, de ce que nous prétendons qu'ils nous doivent, ou peut-être même de ce qu'ils nous doivent effectivement. Mais ce qui nous est demandé, c'est de considérer qu'ils ne nous doivent rien. Aucun disciple ne doit considérer quelqu'un comme son obligé. Et toute dette, toute faute, toute erreur doit être remise, pardonnée, annulée, même si elle a été accompagnée de douleur et de souffrance.

Parce que, à bien y réfléchir, nous serions redevables de beaucoup de choses envers Dieu. La vie, quelqu'en soit la qualité, notre foi et notre espérance, Jésus-Christ, le monde qui nous entoure. Tout cela, c'est déjà bien plus que 10 000 talents. Faut-il restituer ceci à Dieu ? C'est impossible. Alors de ce que nous avons reçu, de fait gratuitement, il faut donner gratuitement. Il ne faut pas entrer en compte avec ceux qui nous entourent.

Mais alors, si on cherche quand même à comprendre ces passages à travers le mot de Pierre, qui parle de péché, ou à travers notre traduction qui parle d'offense, il faut se demander : en quoi offensons-nous Dieu ? Justement parce que nous n'avons pas cette conduite d'amour, d'espérance, de foi, de confiance, de crédit. Parce que nous vivons dans un esprit de dette, de restitution, de procédure et de défiance, d'égoïsme et de courte vue.

Et nous appliquons ce raisonnement à notre relation à Dieu. Mais nos dettes, nos fautes, nos erreurs, nos ratages, sont-ils rachetables ? A quel prix ? C'est impossible. Aucun comportement meilleur ne pourra supprimer un échec de comportement. Ni même en définitive le compenser. Et plus nous nous situons dans ce mode de raisonnement, plus nous nous enfermons dans une voie sans issue.

Mais Dieu remet la dette. Il libère, il laisse aller. Pourquoi essayer de payer quand même, par une B.A., par une vie pieuse ? Je ne dis pas qu'il ne faut pas faire le bien. Je ne dis pas qu'il ne faut pas vivre une vie spirituelle. Je dis que cela ne sert à rien pour ce qui est de mériter le pardon de Dieu. Et il a essayé de le faire comprendre à l'humanité en venant partager notre vie, en venant mourir pour nous dire qu'il n'y a rien à payer, et par la résurrection nous tirer de cette impasse vers une espérance nouvelle qui commence dans cette vie. Il nous appelle à une vie d'amour, de pardon, d'espérance et de foi.

Cette foi est la nôtre, mais c'est aussi la sienne, c'est sa foi envers nous, semblable à la foi, à la confiance d'un créancier, d'un prêteur, d'un engagé.

Mis à part dans la question de Pierre, nulle part dans les textes cités ne figure le mot péché. Il n'est pas question ici d'un Dieu vengeur. Il est question d'un Dieu qui attend de nous une attitude de pardon et d'amour. Il est question d'un Dieu qui veut faire confiance, qui met sa foi en nous.

La crise de la dette souveraine, la crise des banques, c'est une crise de la confiance, c'est une crise de foi.

Et l'attitude des terroristes qui tuent et qui se tuent par la même occasion est aussi une crise de leur foi et de leur espérance. C'est le résultat d'une désespérance. Ils sont tellement sûrs que Dieu est vengeur et accessible au mérite qu'ils se désignent comme le bras de Dieu. Mais ce Dieu n'est pas notre Dieu, du moins, je l'espère. Notre Dieu aime l'humanité, toute l'humanité, et veut que nous aussi nous l'aimions.

C'est ce que nous dit Jean 3:16 : Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle.

Et une des caractéristiques de cette vie éternelle, c'est justement de pardonner à son frère de tout son coeur, à lui remettre toute dette de la vie, à ne jamais le considérer redevable de quelque chose envers nous.

Amen.

(Philippe Cousson)

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