Lusignan, 6 juin 2010

1 Corinthiens 11:23-26

Frères et soeurs,

voilà un texte qu'on connaît bien, surtout dans sa version liturgique.

Mais je vais faire aujourd'hui un grand détour avant de l'aborder. Comme il nous parle du déroulement et du sens de la Sainte Cène, comme nous l'appelons, je passerai par le sens de l'ensemble du culte, et même préalablement par le sens de la vie spirituelle et de la religion.

Tous ceux qui étudient les sociétés humaines du présent, sociologues et ethnologues, comme celles du passés, historiens et archéologues, même préhistoriens, tous trouvent des traces de religion, de comportement religieux, de pensée religieuse, métaphysique ou spéculative.

Le monde est toujours apparu bien étrange et l'homme a toujours voulu savoir comment il fonctionne. Les réponses apportées n'ont jamais été ni complètement religieuses, ni complètement scientifiques. Aujourd'hui ce sont les réponses scientifiques qui prévalent, en général.

Ces mystères ont amené à des explications et simultanément à des attitudes religieuses liées à ces explications. La religion s'est ainsi développée.

Ajoutées à une explication du monde, la religion a acquis d'autres fonctions que l'on peut retrouver dans la plupart des lieux et des temps.
Une première fonction de la religion est de maintenir le monde et son fonctionnement par des actes nécessaires. L'exemple classique se trouve chez les Aztèques qui devaient chaque nuit sacrifier un homme pour que le soleil puisse reparaître le lendemain matin. On prenait de préférence un prisonnier de guerre.
Une autre fonction est de s'assurer une bonne récolte, ou une réussite, par des rites codifiés. Cela perdure encore maintenant, il suffit d'observer les sportifs faire tel ou tel geste avant une compétition. L'explication n'est plus religieuse, mais elle conserve son caractère magique.
La religion a aussi comme fonction de créer et de maintenir un lien social, communautaire, civil. Je citerai simplement actuellement ce qui est appelé aux Etats-Unis la religion civile. In God we trust, c'est inscrit sur les billets de banque. Mais il ne s'agit pas d'une église particulière, ni même de christianisme. Les Etats-Unis sont une nation under God. Les athées protestent mais cela se maintient. C'était la même chose durant l'empire romain où le système païen et le culte de l'empereur étaient un ciment consensuel de la société et de l'état, jusqu'à ce que les Chrétiens remettent tout cela en cause en rejetant toutes les autres divinités et en réservant le titre de Seigneur au Christ. C'est d'abord pour cette attitude qu'ils ont été persécutés, pour être des mauvais citoyens ou sujets de l'Empire.
Une fonction plus individuelle de la religion est celle de répondre aux inquiétudes de l'avenir, tant pour ses proches que pour soi-même, tant pour ce monde-ci que pour un au-delà. Il suffit de considérer les rites funéraires à travers les époques et les lieux. Il suffit aussi de se rappeler de l'importance de l'astrologie.

Et pourtant l'ensemble de ces questions reste pertinent.
La volonté de perpétuer notre monde se traduit par le développement du souci écologique. Les assurances de toutes sortes essayent de répondre au désir de réussite et à la peur du risque, ainsi qu'aux inquiétudes pour l'avenir.
Notre monde contemporain a par contre tendance à évacuer l'au-delà et peine à construire du lien social, après la perte d'influence des religions, au moins en Occident, et l'échec des idéologies marxistes.

Par rapport à tout ceci, qu'est-ce que le christianisme a à dire ?

Le christianisme croit que le monde a été créé par Dieu et qu'il est maintenu par lui. Le chrétien n'a donc pas d'acte magique ou rituel à accomplir dans ce but. Il est cependant responsable de sa gestion de ce monde.

C'est Dieu qui pourvoit à nos besoins, de la même façon qu'il s'occupe des fleurs ou des oiseaux. Il n'y a donc aucun rite religieux qui puisse de quelque façon que ce soit avoir une influence sur les récoltes ou la réussite. La confiance en Dieu et un travail sérieux sont les seules conditions d'une vie accomplie, malgré les soucis et les épreuves.

Les époques où le christianisme a voulu constituer une religion officielle liant la société n'ont pas toujours été celles dont le christianisme peut être fier. De fait, le lien social que fait vivre la foi chrétienne est celui de l'amour du prochain. On peut aussi comprendre là-dedans la probité, la compassion, l'équité, mais jamais la domination ou l'oppression.

De la même façon que Dieu pourvoit à nos besoins d'aujourd'hui, nous croyons qu'il pourvoira à ceux du lendemain. La connaissance de l'avenir n'est pas le souci du chrétien. Et quant à l'au-delà, nous croyons, comme nous le disons souvent, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. Le salut de Dieu pour nous, pour aujourd'hui et pour toujours, est un don qu'il nous fait. Nous n'avons rien à faire pour le recevoir, pour le mériter. Pas de rite, donc. Pas d'acte religieux.

En fait, le christianisme est une religion qui n'est pas une religion.

Et pourtant, nous nous retrouvons le dimanche matin pour le culte. C'est pourtant bien un geste religieux.
En fait, qu'est ce que le chrétien protestant, qu'est-ce que le croyant que chacun de nous est, vient faire au temple, lieu religieux ?

Je vais d'abord passer ce que ce n'est pas.
La participation au culte n'est pas un marchandage avec Dieu. Il ne s'agit pas de s'imaginer discuter avec Dieu en disant : Tu as vu, je venais au culte régulièrement. J'espère que vous comprenez le non-sens d'une telle attitude. C'est Dieu qui donne, gratuitement. On ne lui achète rien, c'est lui qui paie.

Il ne s'agit pas non plus de dire : je viens au culte parce que c'est une tradition, voire une tradition familiale. Je viens au culte parce que je suis protestant. Et d'abord, ça veut dire quoi : je suis protestant ? Venir au culte peut très bien être devenu pour quelqu'un une tradition, une habitude, une bonne habitude. Mais cela ne doit pas être le motif du déplacement.

Ce que je vais dire maintenant est peut-être plus difficile à comprendre ou à accepter. Le chrétien ne vient pas au culte pour lui-même. Il ne vient pas pour sa nourriture spirituelle. J'espère qu'il la prend aussi à d'autres moments. J'espère qu'il ne jeûne pas spirituellement pendant la semaine en attendant le dimanche. Que chacun puisse recevoir durant le culte des richesses inestimables est certain et souhaitable, mais cela n'est pas le but du culte dominical.

On ne vient pas au culte non plus pour y rencontrer Dieu. J'espère que Dieu n'est pas absent de la vie de chacun pendant la semaine. J'espère que le dialogue avec le Père céleste ne se limite pas à l'heure ou l'heure et demie du culte.

Oui, mais alors, qu'est-ce qu'on fait ici ? Pourquoi venir plus ou moins régulièrement depuis 20, 30, 40, 50, 60 ans ou plus ?

En fait, la première fonction de notre culte, où c'est Dieu qui nous invite, c'est de lui rendre gloire. Le premier élément du culte, celui qui en est la base, c'est la louange, la louange communautaire. Nous nous retrouvons ensemble pour louer ensemble ce Dieu qui nous accompagne tous les jours.

Une autre fonction du culte du dimanche, beaucoup plus marquée dans notre église réformée, c'est la proclamation de l'Evangile. Il y est annoncé dimanche après dimanche dans la liturgie et dans la prédication : la liturgie qui est un rappel du message du salut gratuit en Jésus Christ, et la prédication qui est le développement d'un aspect du message.

Et puis, c'est aussi le lieu de manifestation de la vie communautaire, d'une foi commune. C'est aussi l'occasion de partages et de prières pour la communauté présente, pour l'ensemble de l'Eglise et pour tous les hommes.

La Saint Cène, dont je vais parler bientôt se trouve être un résumé de tout cet ensemble en geste plus qu'en paroles, en signes plus qu'en discours. Elle est louange, proclamation et communion.

Un verset du livre des Actes des Apôtres nous redonne l'essentiel de cette vie spirituelle commune : Ils étaient assidus dans l'enseignement des Apôtres, dans la communion, dans la fraction du pain et dans les prières.

Venons-en enfin à notre passage, ces quelques versets, l'un des textes lus comme institution de la Cène. Je vais relever quelques éléments qui me semblent importants.

Paul nous le dit : c'est un enseignement, c'est quelque chose qui se transmet. Il n'est pas possible de l'inventer. Paul l'a reçu, il l'a transmis. Et cela a continué durant l'histoire de l'Eglise, avec quelques aléas, des choses parfois ajoutées, trop précisées. Le texte ici n'a pas de fioritures, pas de détails obligatoires.

Par contre, dans les paroles de Jésus qu'il rapporte, on trouve des verbes à l'impératif : c'est un ordre. C'est ce que les théologiens appellent un sacrement. La cène n'est pas un aspect facultatif du christianisme.

Il s'agit, et c'est ce que les catholiques ont retenu en appelant ce moment l'eucharistie, de rendre grâces à Dieu. C'est un moment de louange. Et cela devrait se voir sur les visages.
On devrait pouvoir y lire écrit sur les rides et les ridules un alléluia collectif et convaincu.

Il s'agit aussi, et c'est ce sur quoi les Réformés insistent, de faire mémoire du Christ. Ici, rien n'est accompli, sauf le souvenir, la remise en mémoire, la remise en actualité de ce qui s'est passé, la mort du Seigneur, et son retour à venir. Paul ne mentionne pas ici la résurrection, mais ailleurs dans ses lettres elle est essentielle, et on ne doit pas l'évacuer aussi de ce mémorial.

Il s'agit aussi de manifester notre alliance avec Dieu, la nouvelle alliance dans le sang du Christ crucifié. Comme pour l'alliance avec Abraham, celui qui s'engage c'est Dieu. L'homme rend grâces et se souviens, mais il n'est pas de taille pour tenir de tels engagements.

Et enfin, et cela est un peu surprenant, la cène est une proclamation, une annonce de l'Evangile. A chaque fois que nous célébrons la cène, nous annonçons l'Evangile.

Pourquoi donc venir au culte ? Pourquoi donc participer à la cène ?
Pour ensemble louer Dieu, le glorifier et lui rendre grâces.
Pour ensemble proclamer l'Evangile de la croix et de la résurrection du Christ.
Pour vivre et partager la communion fraternelle de ceux qui ont tout reçu de Dieu.
Et cela jusqu'à ce qu'il vienne.

Amen

(Philippe Cousson)

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