Poitiers, 20 octobre 1996

Es 45:1-8
1 Thes 1:1-5
Mat 22:15-22

     C'est pour Jésus le début de la fin. Depuis le jour des Rameaux, où il est entré glorieusement à Jérusalem, il enseigne la foule, et dénonce scribes et Pharisiens. Depuis quelques dimanches nous en sommes témoins.

     Lassés d'être mis en cause, les Pharisiens et autres "fils de la maison" cherchent à se débarrasser de lui, d'abord en le piégeant à ses propres paroles, et, vous le savez, comme cette tentative échouera, ils en viendront à un piège physique avec les conséquences que nous connaissons. Vont donc se succéder à la tâche les Pharisiens, avec les Hérodiens, puis les Sadducéens, puis à nouveaux les Pharisiens.

     Les Pharisiens ont imaginé un piège infernal pour Jésus, une "fourchette" comme on dit aux échecs. Pour ceux qui ne connaissent pas, on menace deux pièces à la fois, ce qui fait que si on déplace l'une des deux, l'autre est prise. Le choix n'est plus que de savoir laquelle on veut conserver. En répondant "oui, il faut payer", Jésus sera un "collabo", et alors il n'aura plus l'estime de la foule, que l'occupation romaine opprime, même s'il bénéficiera de la sympathie des Hérodiens, qui s'accommodent de la présence romaine, qui a installé leur maître. En répondant "non, il ne faut pas payer", il s'exposera à une dénonciation aux forces occupantes, même s'il remontera dans l'estime des Pharisiens, plutôt opposés à l'occupation. Il sera piégé.

     Et même, pour faire plus "planchette savonnée", on commence par lui "cirer les bottes". On tente de l'endormir par des paroles flatteuses. Mais ils n'ont pas assez réfléchi, car ces paroles, qui décrivent la vérité, les accusent. Si ce qu'ils disent alors est vrai, alors pourquoi n'agissent-ils pas en conséquence ?

     Et puis, enfin, voilà la question piège posée, et bien posée. Ils attendent la réponse. Le temps grammatical utilisé, l'aoriste, peut laisser supposer que l'on est ou était devant un poste de péage, car ce temps n'indique pas une généralité, mais un fait précis.

     Jésus commence en leur rendant leur compliment par une description moins flatteuse : hypocrites. Il leur explique qu'il a bien compris le piège. La réponse qu'il donne sous forme de question peut paraître une manière de contourner l'obstacle, mais en fait il va directement au coeur des choses. Et les interrogateurs se retrouvent piégés. La pièce est de César. Ce sont son nom et son visage qui sont gravés dessus. Le fait n'est pas contestable. Alors, ils repartent.

     Voilà résumée l'affaire. Quelque chose d'un peu semblable avait eu lieu quand quelques versets plus haut, on avait demandé à Jésus de quelle autorité il agissait. Il les avait renvoyés aussi à eux-mêmes.

     Pour relever ce qui me semble essentiel, je me servirai d'une analyse de deux mots qu'utilisent les interrogateurs et Jésus. Dans la version que je vous ai lu, on les traduit tous deux par "payer". Mais, "donner" et "redonner" seraient de meilleures traductions. Les deux mots sont effectivement de même racine, mais différent, de la même façon que "donner" et "redonner."

     Donner le tribut, l'impôt à César, signifierait qu'on lui donne ce qu'on possède, à soi. Mais le redonner, signifie qu'on l'a d'abord reçu de lui. De même pour ce que l'on redonne à Dieu.
     Voici donc ce qui est important pour notre vie. De quoi vivons-nous ? De ce que nous possédons ? De ce que nous avons reçu ? Et de qui l'avons-nous reçu ? Sommes-nous de ceux qui se sont faits eux-mêmes ? Sommes-nous en mesure de donner ? Ou de redonner ? Sommes-nous capables de reconnaître ce que nous avons reçu ? Sommes-nous capable de reconnaître que nous avons tout reçu ? Qu'y a-t-il de marqué sur ce que nous avons ? Quelle est l'origine de ce que nous possédons, de ce que nous sommes ?
     Selon les réponses à toutes ces questions, qui se recoupent, nous répondrons différemment à la question de savoir à qui donner ou redonner quelque chose.

     Réfléchissons donc ensemble à ce que nous avons reçu de César, que nous puissions lui redonner. Qu'y a-t-il de marqué sur les choses auxquelles nous tenons ? De qui sont l'effigie et l'inscription qui ornent nos trésors personnels ? Qui est ce César qui réclame tribut de notre existence ? Où nous conduit notre vie ?

     De même : en quoi notre vie dépend-elle de Dieu ? Qu'avons-nous reçu de lui, que nous puissions lui redonner ? N'est-il pas celui qui nous a donné la vie, la vie nouvelle ? Rien que ça !

     Avant de cheminer avec lui, nous étions morts. Je me trompe ? Avant qu'il ne remplisse nos existences, nous n'existions tout simplement pas. Toujours à la poursuite de quelque chose d'impossible à attraper. Toujours en quête de quelque chose d'impossible à recevoir. Toujours à la recherche de soi, d'une raison de vivre, de la simple reconnaissance du fait d'exister, pour nous, pour les autres, pour le monde. Et Dieu, par le Christ est venu à notre rencontre. Il nous a appelé chacun par son nom. Son appel nous a donné l'existence, son regard nous a donné l'espérance. Comme nous avons reçu de lui la vie, nous avons tout reçu de lui. Et ce que nous pouvons lui donner, en fait, nous le lui REdonnons.

     Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de dons, ou plutôt de détournement de dons. Les grandes causes conduisent parfois à de grands méfaits. Mais sans parler de ce scandale, qui a beaucoup nui à ceux qui collectent honnêtement, il faudrait peut-être essayer de se pencher sur les motivations de ceux qui donnent, qui oeuvrent pour aider leur prochain.

     Il y a ceux qui donnent pour eux mêmes, c'est à dire par exemple pour la recherche médicale, en espérant que cela les sauve plus tard. Il y a ceux qui qui estiment que c'est un devoir moral extérieur à eux et auquel il faut se soumettre. Il y a ceux qui croient en tirer quelque mérite, quelque récompense de la Providence. Il y a ceux qui pensent qu'un homme est un homme, et qu'il est tout simplement normal d'aider ceux qui en ont besoin. Il y a par ailleurs ceux qui pensent qu'on paie assez d'impôts et de cotisations comme ça, et que ça devrait suffire. Mais en fait, il y a en chacun des donateurs un peu de chacun de ces portraits.

     Et le croyant qui donne, qui donne à Dieu, qui donne pour Dieu, qui REdonne à Dieu, qui donne à l'église, qui donne pour les autres, qui REdonne une part de ce qu'il a reçu, pourquoi le fait-il ? Simplement parce qu'il sait, qu'il n'a rien qu'il n'ait reçu, que tout ce qu'il est, tout ce qu'il a n'est dû qu'à l'amour de Dieu, qu'il ait peu ou beaucoup, que sa vie soit facile ou difficile. Et que ce qu'il a, ce qu'il est, n'a de sens que parce que c'est reçu, et redonné, reçu pour être redonné. Thésauriser pour thésauriser n'a pour le chrétien aucun sens. C'est comme accumuler de la manne au-delà de 24 h.
    Autant votre vie sera matérielle, autant votre quête sera matérielle, autant ce que vous recevrez, acquerrez, sera matériel, et autant ce qui est matériel exigera de vous que vous lui redonniez un tribut. Ne vous étonnez pas alors que les soucis matériels vous envahissent.

     Autant votre vie sera spirituelle, autant votre quête sera spirituelle (attention je ne veux pas dire mystique, ésotérique, évaporée), autant votre vie sera remplie de la crainte de Dieu, de son espérance, autant ce qu'il vous sera demandé de redonner sera spirituel, même si ce spirituel prendra une forme matérielle, parfois même sonnante et trébuchante. Le souci que vous en aurez sera spirituel.

     Les Pharisiens et Hérodiens ont voulu compromettre Jésus avec les Romains, ou contre les Romains. Il ne s'est pas laissé faire.

     Attention à nous. Combien nous arrive-t-il à nous aussi de vouloir compromettre Jésus de la même manière dans nos petites combines, dans nos ajustements éthiques ?
     Cherchons donc en toutes choses ce que nous recevons de Dieu, recherchons ce qui nous vient de lui, et redonnons ce que nous avons reçu de lui, ce que nous avons reçu de lui pour que nous le redonnions.

     Amen.

(Philippe Cousson)

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