Poitiers, 25 novembre 2007

"La conscience", Victor Hugo
Genèse 4:1-16

Chers frères et soeurs,

voici encore une histoire très connue, enfin, je suppose.

Nous allons donc chercher dans ce texte quel est l'évangile pour nous, la bonne nouvelle que Dieu veut nous faire passer, comment l'écoute de ce dialogue entre Dieu et Caïn peut nous parler à nous aussi.

Histoire classique de deux frères, différents, concurrents. Ce qu'on ne fait plus aujourd'hui, ils vont l'un et l'autre faire une offrande à Dieu. L'agriculteur et le berger. On croirait lire un manuel d'histoire antique où les peuples de bergers et d'agriculteurs devaient cohabiter, se mêlant et se combattant.

Donc, Caïn fait son offrande, de fruits de la terre, et Abel fait aussi son offrande. Et voilà que Dieu fait attention à l'offrande d'Abel, mais pas à celle de Caïn. Celui-ci ne comprend pas. Il ne comprend tellement pas qu'il en est irrité, qu'il brûle dit le texte, que son visage tombe, qu'il perd la face. C'est comme si son existence n'avait pas de valeur pour Dieu, puisque son offrande n'en a pas. Il se donne la valeur qu'on donne à ce qu'il fait.

Mais Dieu fait attention à lui, et remarque son attitude. Alors Dieu lui parle. Si cela ne signifie pas qu'il a de l'importance, qu'est-ce qui pourrait le signifier ?

Dieu donc lui adresse la parole : Pourquoi brûles-tu ? Pourquoi as-tu perdu la face ? C'est à dire, en fait, Je ne comprends pas, il n'y a pas de raison. Ta valeur pour moi n'est pas celle de ton offrande.
Et il complète : si tu fais bien, si tu fais mieux, alors tu retrouveras ta dignité, celle que tu as perdu à tes yeux. C'est comme cela qu'il faut que cela se passe, n'est-ce pas ? Rien n'est perdu, même pas l'honneur.
Ou alors, si tu ne fais pas mieux, si tu ne rectifies pas ton attitude, alors le péché est là, tapi, à ta porte, prêt à t'assaillir, prêt à entrer par la porte que tu lui laisses ouverte, porteur de passions qui se dirigent vers toi pour te conduire. Fais attention, il faut que tu sois plus fort, et que tu domines le péché, que tu domines tes passions.
Se laisser aller à ses passions est un des messages de la culture contemporaine. Ce n'est pas celui que Dieu laisse ici à Caïn.

Le dialogue suivant n'est pas relaté, il y est simplement fait allusion. Caïn parla à son frère Abel, ou même plutôt Caïn dit à son frère Abel. Mais on se sait pas ce qu'il se sont dit. S'ils ont réussi à se dire quelque chose. Pourtant ce verset commence par la même expression qui commence les citations de Dieu ou de Caïn, comme ailleurs en hébreu : Vayomer. Mais la seule indication est que ce dialogue est un dialogue raté.
Alors, Caïn se lève contre son frère, dans les champs, et le tue. Le péché qui était couché a fait lever Caïn. L'irréparable est commis. Le premier meurtre raconté dans la Bible. Il y en aura d'autres.

Alors Dieu revient à la charge : Où est ton frère ? C'est un peu la même question que celle posée à Adam : Où es-tu ? Mais ici Caïn ne se cache pas. Ou plutôt, il se cache derrière une réponse qui commence par un mensonge, et se termine par une autre question.
Il sait bien où il a laissé le cadavre de son frère.
Et pourtant, la réponse que Dieu attendait était sans doute tout autre. Il attendait un aveu, une repentance. Mais Caïn n'a pas su saisir cette perche que Dieu lui tendait, il l'a repoussée en tentant de se sortir seul de cette situation, par sa réponse.
La question qu'il retourne à Dieu est aussi une forme de tentative de justification. Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère, est-ce que je suis chargé de le surveiller ? Une sorte de "lui, c'est lui et moi, c'est moi", mais où Caïn sait bien ce qu'il en est à cet instant d'Abel, son frère.

Alors Dieu reprend la parole, sans entrer dans le jeu de Caïn. Il rappelle, il indique la vérité, la vérité des faits. Et puis, il en donne les conséquences, tout ce que cela va entraîner pour Caïn.

A cette occasion, nous pouvons nous rendre compte des liens de Caïn avec la terre, en hébreu adamah, cette terre dont est issu Adam son père, et que Chouraqui traduit par glèbe.
Au verset 2, Caïn est serviteur de la terre.
Au verset 3, il fait des offrandes des fruits de la terre.
Cette terre, c'est sa vie. Il vit pas elle et pour elle. Elle est sa richesse et sa nourriture.
On retrouve la terre - adamah aux versets 10, 11 et 12. Au v. 10 : le sang de ton frère crie de la terre, au v. 11 : la terre qui s'est ouverte pour recevoir le sang d'Abel, et enfin au v. 12 : la terre que tu cultiveras ne te donnera plus sa force, sa richesse.
La rupture est consommée par ce meurtre avec la terre. Cette terre qui est aussi quelque part victime du geste de Caïn. Et au v. 14 Caïn est chassé loin de la face de la terre, celle qui le nourrissait. Il est aussi en même temps éloigné, caché de la face de Dieu.

Il avait perdu la face, et maintenant, il perd la face de la terre et de Dieu. C'est bien le même mot aux versets 5 et 6 et aux versets 14 et 16. En refusant le face à face véridique avec Dieu, Caïn se retrouve avec personne en face de lui.

Dans cette affaire, il a tout perdu : la face de l'Eternel, et la face de la terre qu'il servait. Il réalise que le poids de sa faute est grand, trop grand. Il commence à réaliser, à assumer ce qu'il refusait au v. 9.

Dans ce texte, il passe alors de la terre - adamah à une autre terre, à un pays, arets, qui apparaît aux v. 12 et 13 : Caïn sera errant et vagabond sur la terre, puis au verset 16, il habite dans la terre de Nod, c'est à dire loin de Dieu, ailleurs. Et c'est dans cet ailleurs qu'il sera menacé, en tant que meurtrier, peut-être, ou alors en tant qu'étranger vagabond. Il passe de cette terre - adamah, qu'il servait et qui le nourrissait, à la terre - arets, qui devient étrangère et menaçante.

Et voici cette dernière parole de Dieu, un peu énigmatique et qui n'est pas adressée à Caïn. C'est une parole de protection, pour qu'on ne frappe Caïn.
On peut d'ailleurs noter que Dieu lui-même n'a pas frappé Caïn, ne l'a pas tué. Et que d'ailleurs personne ne le tuera, ni ici ni ailleurs.
C'est Caïn lui-même qui s'est éloigné de Dieu, qui s'est coupé de Dieu. Adam s'était caché, Caïn ment, mais tous les deux évitent Dieu, se coupent de lui, coupent la communication, la communion. Et pourtant, autant l'un que l'autre étaient attendus par Dieu. La parole de Dieu à leur égard n'était pas d'abord une parole de condamnation, mais un appel à un échange vrai, une attente d'amour. Ils n'ont pas su le voir, l'entendre.

Dans tout ce qui lui arrive, Caïn aurait pu se poser en victime. D'ailleurs le texte indique ces circonstances, en utilisant le mot vayehi, mot utilisé aussi dans le récit de la création, quand les choses créées surviennent.
Dans ce texte, trois choses surviennent à Caïn, qui, dirions-nous, lui ont pourri la vie.
Au v. 2 : Et il y eut Abel. C'est comme ça que l'apparition d'Abel est indiqué. On pourrait imaginer que cette arrivée du frère ne s'est pas bien passée. C'est en tout cas suggéré.
Au v. 3, Et il y eut au terme des jours, au bout de quelque temps, il arriva que Caïn fit une offrande. S'il n'avait pas eu cette idée de faire cette offrande, peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé.
Et enfin au v. 8, Et il y eut au milieu des champs cette rencontre malencontreuse, cette dispute fratricide. Cette conversation-là s'est bien mal terminée. Pourquoi avoir tenté de parler, pourquoi avoir adressé la parole à son frère ?
Mais Caïn n'a pas fait comme Adam, qui a invoqué les circonstances. Il aurait peut-être pu tenter le coup. Mais en fait, il a préféré nier, mentir.

Dans le poème de Victor Hugo, justement appelé "la conscience", Caïn est poursuivi par sa conscience, par sa conscience mais pas par Dieu, comme on pourrait le penser, peut-être comme l'auteur voudrait qu'on suppose qu'il le pense.
Mais même le personnage selon Victor Hugo se trompe sur Dieu et sur sa nature. Il n'a pas compris qui était Dieu.

Dieu est celui qui est prêt à pardonner, Dieu est celui qui pardonne.
Ce pardon donné est à saisir dans la repentance et l'acceptation. Il est inutile et illusoire, illusoire et dangereux, de vouloir tromper Dieu, de vouloir marchander avec lui.
Dès avant le péché, dès avant le meurtre, Dieu avait déjà tendu la perche à Caïn. Mais celui-ci n'avait pas compris que la relation avec Dieu ne dépend pas de nous, ni de nos pauvres actions, mais que cette relation dépend de Dieu, totalement de Dieu, uniquement de Dieu, complètement de Dieu. C'est une relation de paix, de la paix qui vient de la certitude de la qualité de cette relation de sa part. Nous savons bien que de notre part, cette relation ne sera jamais parfaite, si jamais elle pouvait l'être. Cette relation est une grâce de Dieu.

Pourquoi contester avec Dieu ? Cette relation de Dieu est offerte à tout homme, à tout homme qui cesse de compter sur sa qualité, ou son absence de qualité, mais qui regarde à Dieu, à sa constance, à sa fidélité, à sa paix et à sa grâce, paix et grâce qu'il nous faut recevoir, tout simplement.

Amen.

(Philippe Cousson)

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