Poitiers, 15 octobre 2006

Proverbes 3:13-20
Hébreux 4:12-13
Marc 10:17-31

Chers frères et soeurs,

Nous sommes en présence d'un récit bien connu, l'histoire de la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche. Je vais relever ce matin deux éléments de la question du jeune homme riche que Jésus reprend, mais qui ne sont pas directement des réponses à sa question, ou comment Jésus répond à la question en répondant à côté.

Jésus se met en chemin, il s'apprête à partir, il est déjà parti, la troupe a démarré. Et alors arrive un homme. C'est une image que nous connaissons. Nous en avons été témoin. Au moment où le train va partir, où les portes vont se refermer, quelqu'un sort du souterrain le souffle court, agrippe la poignée et monte, ouf ! Ou bien, alors il ralentit sa course et s'arrête en regardant catastrophé le train qui s'ébranle et qui s'en va, sans lui. Notre jeune homme riche est un peu dans ce cas là. Jésus allait partir, et il avait pourtant quelque chose à lui dire, à lui demander, et c'était vital, au point de courir, d'accourir, de se jeter à genoux devant Jésus, à ses pieds, comme pour être sûr qu'il s'arrêterait. Parce que elle est vraiment importante cette question, vitale, essentielle, existentielle.

Il s'adresse à Jésus, à qui il donne un titre qui montre toute l'importance qu'il lui donne, comme si il était le seul capable de lui répondre, un peu comme ce grand spécialiste auquel on veut confier sa santé ou sa maladie. Il l'appelle "Bon maître". Jésus n'est pas pour lui n'importe qui, n'importe quel prêcheur itinérant, n'importe quel gourou promenant ses disciples, il est quelqu'un de bien, de bon, il est un maître, un bon maître. Et cela vaut très certainement la peine d'interrompre ses activités pour lui courir après, surtout s'il va bientôt partir.

Il est riche, on le sait plus tard, et il sait comment mener une affaire, mais ici, il ne sait pas. Alors il a besoin d'informations pour résoudre son problème, un problème tel qu'il a dû se résoudre à cette entrevue un peu particulière et peu discrète. Il a besoin de savoir ce qu'il faut faire, ce qu'il faut accomplir, quelles sont les conditions ? Où faut-il signer ? Que dois-je faire ?

Il est riche, mais son inquiétude, son souci porte sur quelque chose qu'il ne possède pas encore, quelque chose qu'il souhaite posséder, dont il veut entrer en possession, en héritage, dont il veut sa part. Comment peut-il le recevoir, le toucher, l'hériter, le mériter ?

Et ce qui lui manque actuellement, terriblement, c'est la vie éternelle. Bizarre me direz-vous ? Et pourtant c'est ce qui l'angoissait, lui, c'est la question qui le tarabustait. Cette question n'est peut-être pas la vôtre. Mais voilà c'était la sienne. Peut-être une question de culture, de civilisation. En êtes-vous si sûrs ?

En tous cas, voilà comment se présente cette question posée à Jésus par un homme, à genoux devant lui, très certainement propre sur lui, bien habillé, pas un mendiant, quoi : "Bon maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?"

Essayez donc d'arrêter quelqu'un d'important aujourd'hui avec une question de la sorte. Joli spectacle. Où est la caméra ? C'est un gag, n'est-ce pas ? Mais à cette époque là, pas de caméra, et Jésus va répondre. Ou plutôt, il ne va pas répondre, mais il va relever des éléments qui dévoileront son interlocuteur.

D'abord : Tu m'as appelé 'bon'. Tu as bien dit : 'bon' ? Pourquoi donc ? As-tu vraiment conscience de ce que tu viens de dire, peut-être même de ce que tu viens de confesser, sans doute involontairement ? Un seul est bon, et celui-là, c'est Dieu. Tu connais certainement les Ecritures, et tu devrais savoir que seul Dieu est bon. C'est même une de ses caractéristiques. "Louez l'Eternel car il est bon, car sa miséricorde dure à toujours, répètent plusieurs psaumes.

As-tu vraiment conscience de ce que veut dire ceci, être bon ? Etre bon, c'est être conforme à ce qui était prévu, à la volonté de Dieu, c'est ce qui atteint son but. Ce n'est pas rien, ce n'est pas anodin.

Et puis, tu as certainement noté que dans ma réponse, je ne refuse pas la qualification. Eh oui, en fait, Jésus n'a pas démenti cette affirmation. Il a seulement dit : 'Dieu seul est bon', il n'a pas dit : 'tu ne dois pas me dire bon'. Ce qui revient en fait à accepter l'assimilation : Jésus est Dieu. Il ne le dit pas ici, mais il le laisse transparaître. Un peu comme dans les passages où il se présente en disant : 'je suis'.

Puisque être bon, c'est être conforme à la volonté de Dieu, il cite les commandements, il cite la Torah. Mais ces commandements, le jeune homme riche les connaît déjà, il les connaît par coeur, et il les applique, jour après jour, et sans doute aussi scrupuleusement.

Et pourtant, là n'est pas sa question, sinon, il ne l'aurait pas posé. Mais Jésus avait aussi compris ça. Et il avait repéré un autre point dans la première question de l'homme, un problème qu'il va pointer du doigt dans sa deuxième réponse. Dans sa question, l'homme avait parler d'hériter, de prendre possession, de posséder. Le voilà le problème de cet homme, là où ça coince : la possession, non pas l'envie, la cupidité, la convoitise, mais la possession.

Alors Jésus lui demande de placer son intérêt, son trésor, sa richesse ailleurs, il lui demande d'investir autrement, de placer son objectif ailleurs, de changer de placement, de changer de formule d'assurance, de fonder sa vie sur autre chose. Il lui demande de renoncer à ses possessions, il lui demande tout vendre et de tout donner. Il ne s'agit pas de micro-don, il s'agit de tout donner.

Et là, apparemment, Jésus a fait mouche. Touché.

Et pourtant, il faut noter qu'avant sa deuxième réponse, il est noté que Jésus l'aima. Il ne l'a pas renvoyé comme un importun, comme un malpropre. Il a simplement pointé là où ça faisait mal, pour amener la guérison.

Et puis, hélas, l'homme est reparti tout triste, sans doute beaucoup moins vite que quand il était arrivé, il y a quelques minutes, plein à la fois d'angoisse et d'espoir. Maintenant il est triste, peut-être effondré. Toute cette vie d'obéissance pour rien. On ne sait plus rien de lui. On peut espérer qu'il aura su retenir le message, mais rien n'est moins sûr.

Nous voilà ce matin face à ces deux éléments de la réponse de Jésus.

Pour nous, pour chacun d'entre nous, qu'est-ce qui est bon, qu'est-ce qui est bien ?

Le sens reconnu des mots utilisés ici, en grec agathos ou l'équivalent hébreu tov, signifient évidemment : 'bien', 'bon', mais aussi 'agréable', 'qui atteint son but', 'qui est conforme à ce qui était attendu'. Il est d'ailleurs curieux qu'on ne trouve ce mot agathos dans l'Evangile de Marc que dans ce passage.

Et dans notre monde, le sens du mot 'bon', c'est ce qui fait plaisir, ce qui donne de la joie, du plaisir, de la satisfaction, tant pour soi que pour ses proches ou même pour d'autres. L'objectif en fait serait donc pour notre monde l'obtention d'une satisfaction.

Un autre sens est donné par les composés bonté ou bienfaisance. Quelqu'un de bon serait quelqu'un d'un peu particulier qui penserait aux autres.

Rappelez-vous aussi qui dans le monde de la bande dessinée disait de lui : "je suis bon". Vous ne voyez pas ? Haroun el Poussah, le calife dont le sofa intéressait le vizir Iznogoud. Cela nous montre aussi une des images que notre monde a de celui qui est bon.

Quand à celui qui atteint l'objectif, est bon aussi le sportif qui réussit, l'étudiant, l'écrivain ou l'artiste, l'artisan ou le professeur.

Regardons la réponse de Jésus. Tu me dis que tu appliques tout cela depuis ta jeunesse ? Tu es bon ? Toujours ? Toujours toujours ? Seul Dieu est bon. Il est bon car sa miséricorde dure à toujours. Dieu est aussi le créateur, celui dont il est dit : "il vit que cela était bon".

Malgré son obéissance, le jeune homme riche ne satisfait pas aux conditions, comme tous d'ailleurs, comme nous tous.

Là où est ton trésor, là sera ton coeur. Où donc est ton trésor ? A quoi tenons-nous ? A quoi tenons-nous par dessus tout ? Inutile d'être riche pour être riche. De quoi ne pourrions-nous pas nous passer ? Qu'est ce qui reste dans nos vies, par dessus même, au-delà d'une vie d'obéissance ou simplement de probité, ou plutôt par en dessous, qui reste non atteint ? A quoi ne voulons-nous pas toucher ? Surtout pas ?

Parce que, en fait, même si il était riche, le jeune homme riche était quelqu'un de bien, ou alors il essayait de s'en persuader. Parce qu'en fait sa question révèle une angoisse, une incertitude pour le moins. Il se doutait de quelque chose. Il soupçonnait que quelque chose clochait peut-être, mais quoi ?

Il a eu sa réponse, révélation sur lui-même, sur Jésus et sur Dieu.

Qu'allez-vous donc apprendre sur vous ce matin ? Y a-t-il une angoisse cachée ? Une question sans réponse ? Peut-être pas au point de vous jeter aux pieds de Jésus. Où est votre manque, votre aliénation, ce qui fait que vous ratez la cible, l'objectif ? Cherchez vous la vie éternelle ? Peut-être ?

D'ailleurs, c'est quoi la vie éternelle ? C'est quoi recevoir la vie éternelle ? C'est quoi entrer dans le Royaume de Dieu ?

C'est d'abord vivre le 'bon' de Dieu, atteindre la cible, vivre la miséricorde et vivre de la miséricorde. Vivre cela maintenant, dès maintenant, pour maintenant, et pour plus tard aussi, pour demain, pour toujours et plus encore si affinités.

Jésus n'a pas chassé le jeune homme riche. Le jeune homme riche est reparti tout seul. Il n'a pas su accepter, il n'a pas pu accepter. Il n'a pas vu ce qui est bon. Il n'a pas pu quitter des yeux ses possessions. Il est reparti triste.

Allez-vous repartir comme le jeune homme riche, triste, et à l'écart du Royaume de Dieu ? Allez-vous trouver où est ce trésor, cette richesse qui vous encombre, qui vous empêche de passer par le trou de l'aiguille.

Allez-vous repartir comme vous êtes venu, sans question, sans remords, persuadé que ce discours ne vous concerne pas, que rien ne vous interroge, jamais, ou alors que vous n'êtes pas en cause, pas concerné ?

En êtes-vous vraiment sûr ? Sans parler de vie éternelle, de Royaume de Dieu, où en est votre vie ? A-t-elle atteint son objectif ? Est-elle bonne ? Pour vous, pour ceux qui vous entourent ?

La parole de Jésus est : "Sépare-toi de ce qui t'encombre et suis-moi."

Suivre Jésus, comment faire ? Se mettre sur son chemin, non pas en lui barrant la route mais en le suivant, en lisant les évangiles, la Bible, en priant.

La vie éternelle, le Royaume de Dieu sont pour maintenant déjà. Cela commence maintenant, il y a tant à faire. Quant à ce qui sera reçu, hérité, ce n'est pas notre souci, ce n'est plus notre souci. Ce n'est plus alors une question pertinente.

Il ne s'agit pas de faire ni de mériter quoi que ce soit. Il faut simplement suivre Jésus et recevoir sa promesse.

Louez Dieu car il est bon, car sa miséricorde dure à toujours.

Amen.

(Philippe Cousson)

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