Poitiers, 25e anniversaire de la Croix de Beaulieu, 20 janvier 2006

Actes 2:42-47
1 Corinthiens 12:12-20
Marc 7:31-37

Chers frères et soeurs, chers amis,

Nous venons d'entendre des récits, des impressions, des actions, des projets. Nous venons d'entendre vivre l'Eglise. En doutez-vous ? Ou alors, seriez-vous sourds ? Là où des chrétiens vivent et manifestent leur foi, en paroles et en actes, là est aussi l'Eglise, là vit le corps de Christ, là se manifestent ses membres. C'est une image, un instantané de la vie de l'Eglise de notre temps.

Les textes d'aujourd'hui sont eux un reflet de la vie de l'Eglise des débuts. On peut en rêver, on peut idéaliser cette Eglise dite indivise. En fait, on le verra plus loin, pas si indivise que ça.

Perseverare, vous connaissez la suite. Mais dans le passage des Actes, ce serait plutôt le contraire. La persévérance est une vertu. Elle est sans calcul. Elle est vie projetée en avant par la parole reçue. "Et le Seigneur ajoutait chaque jour ceux qui étaient sauvés".

Persévérance donc des tout premiers chrétiens, même s'ils ne portaient pas encore ce nom, persévérance à quoi ?

A l'enseignement des apôtres. Le baptême ne fait pas tout. La vie chrétienne est une écoute de l'enseignement des apôtres. Luc ne dit pas : une écoute des apôtres, mais de l'enseignement des apôtres. Qu'est-ce que cet enseignement ? Ce qu'ils disaient alors, bien sûr. Mais pour nous, ce qu'il en reste, et qui a été transmis jusqu'à nous par une chaîne de témoins et par le Saint-Esprit, c'est à dire le Nouveau Testament. Mais, à y regarder de plus près, à quoi fait allusion en permanence ce témoignage des apôtres ? A ce que nous appelons l'Ancien Testament, la Bible des Juifs, la Torah, les prophètes et les psaumes. Voilà donc ce qu'il nous faut écouter, avec persévérance, voilà ce qu'il nous faut étudier et méditer, la Bible. Bien sûr ces textes ont été commentés, glosés, expliqués dans les siècles qui ont suivi, jusqu'à nous. Mais ces commentaires, ces explications sont à prendre pour ce qu'ils sont, des commentaires, des explications, mais pas l'enseignement des apôtres.

A la communion fraternelle. Ces gens qui auparavant ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam, se mettent du jour au lendemain, ou presque, à se comporter comme des frères et des soeurs, se mettent en souci les uns des autres. A l'amour que vous aurez les uns pour les autres... puissions-vivre cet amour fraternel des enfants de Dieu, en disciples de Jésus.

A la fraction du pain. On pourrait comprendre qu'ils prenaient leur repas en commun, et c'est d'ailleurs ce qu'ils faisaient, mais ce n'est pas ici ce que signale l'auteur du livre des Actes, mais bien une allusion au geste de Jésus qu'il a demandé à ses disciples de perpétuer. Le souvenir de la mort et de la résurrection du Christ reste au coeur de la vie commune des croyants de la première Eglise. Il est l'un des quatre fondements de cette vie d'Eglise.

Aux prières. Les croyants issus de la Pentecôte avaient en devenant disciples établi un contact direct avec leur Dieu. La vie de prière, de prière commune ici, signale une vie de relation avec Dieu, avec le Dieu de Jésus-Christ. La prière chrétienne n'est pas une méditation orientée vers son intérieur, vers son propre vide intérieur, ou son trop plein intérieur. La prière chrétienne est relation, dialogue avec une transcendance personnelle, avec quelqu'un qui se trouve être le Créateur et le Sauveur, et en même temps un père et un ami personnel. Quelle est notre relation personnelle à Dieu ? Quelle est notre relation collective à Dieu ? Quelles sont nos prières ?

Une belle image de l'Eglise primitive. Mais il y a quand même quelque ombre à ce tableau. Rappelons-nous Ananias et Saphira.

Quelques années plus tard, voici ce texte de Paul à l'Eglise de Corinthe. Cependant, je voudrais vous rappeler que 11 chapitres plus tôt, Paul se plaint des divisions à Corinthe. J'y reviendrai.

Quand Paul nous parle du corps, du corps de Christ, nous comprenons tous qu'il s'agit de l'Eglise. Pas de l'Eglise de Corinthe, pas de l'Eglise de Paul, mais bien de l'Eglise, du corps de Christ, de l'unique corps de Christ, du corps de Christ un. Un corps mais plusieurs membres.

Attention, ici ne nous méprenons pas. Les divers membres, ce ne sont pas les divers morceaux d'une Eglise divisée. Il s'agit des membres variés, correspondant à des fonctions vitales variées. D'ailleurs au verset 28 Paul en donne une liste, certainement pas exhaustive. On en a eu tout l'heure une partie de liste actualisée avec les divers témoignages de foi que nous avons entendu. Le chrétien n'est pas à la fois celui qui prêche, celui qui aide, celui qui sert aux tables, celui qui secourt, qui guérit, qui chante, qui prophétise, ou qui parle en langues. Chacun a reçu des dons variés, voilà en quoi il y des membres différents. Ce que Paul dit ici, c'est qu'il n'y a pas de façon de témoigner, de service du Seigneur, qui soit supérieur à un autre. La tête du corps, c'est le Christ, et le corps, c'est son corps.

Je reviens à la question du chapitre un de cette première épître aux Corinthiens. Les dissensions ne sont pas d'aujourd'hui. Certains disaient qu'ils sont de Paul, d'Apollos, de Céphas, et même de Christ. Christ est-il divisé ? Le corps de Christ est-il dépecé ? Si Paul pose la question, c'est bien sûr qu'il a la réponse. Non, le corps de Christ n'est pas divisé, le corps de Christ est et reste un. L'Eglise n'est pas divisée. L'unité n'est pas à faire. Elle est donnée. C'est un fait. Il y a un seul corps. Comment avons-nous pu en douter ?

Oui, mais voilà, les apparences sont trompeuses. Où est l'Eglise aujourd'hui ? Pourtant, vous l'avez entendue, l'Eglise. Vous les avez entendus ses membres vous raconter comment ils prennent part à ce qui est la vie du corps de Christ, comment ils manifestent les dons qu'ils ont reçus, comment par eux le Christ vit et agit dans notre monde. Elle est là l'Eglise du Christ, agissante, témoignante.

Je comprends bien que ma parole est une parole protestante. Je l'aime bien ce mot, car il signifie que c'est une parole qui témoigne, et je veux vous faire part de ce qui est ma conviction : l'unité n'est pas à faire, elle n'est pas à construire, elle n'est pas un combat, elle est à recevoir par la foi. Nous avons le même Dieu, le même Sauveur mort et ressuscité, le même Esprit, nous sommes tous membres du même corps qui est le corps de Christ. A ce point de vue là, Christ n'a pas le don d'ubiquité, c'est à dire qu'il n'existe pas en même temps dans plusieurs corps. Il n'a qu'un seul corps, et nous en sommes tous les membres.

Oui, bien sûr, il reste beaucoup trop de points culturels et théologiques qui nous divisent, qui déchirent le corps de Christ, beaucoup de choses parfois essentielles pour certains. Prenons garde cependant à ne pas voir le corps de Christ comme celui de siamois qui aurait plusieurs têtes. Christ est la seule et unique tête de son corps, même si nous l'écartelons.

Voyons un peu maintenant si ce texte de Marc peut nous aider, peut-être.
Jésus est en terre païenne. Tyr, Sidon, la Décapole sont des terres étrangères. Jésus y espérait un peu de calme, d'incognito. Raté. Il guérit la fille de la femme cananéenne, et maintenant ce sourd qui avait de le peine à parler. Il le guérit, mais à l'écart, pas en public. Il le guérit avec un mode opératoire connu du monde païen, en touchant et avec la salive. Et l'émotion de Jésus est manifeste, il soupire et se tourne vers Dieu. Et puis : Ouvre-toi ! Et alors, un comble pour le guéri : après lui avoir rendu la parole, Jésus lui interdit de parler. Peine perdue. Jésus n'est plus en paix nulle part, et il y tant de monde qu'il doit encore multiplier les pains pour la foule.

Et c'est dans notre monde, dans ce monde qui ne le connaît plus, que se trouve le corps du Christ, l'Eglise. Et nous ses membres, nous ressemblons bien trop souvent à ce sourd qui a de la peine à parler. Nous n'entendons pas les appels, les questions, les cris de nos contemporains. Nous avons toutes les peines du monde pour parler de notre Seigneur et Sauveur, empêtrés que nous sommes dans nos contradictions et malentendus.

Un ami, prêtre hongrois disait il y a une vingtaine d'années : cherchons ce que nous pouvons faire ensemble, sans avoir besoin d'accord théologique. Parce qu'en fait, la théologie, ça peut devenir un sacré frein au témoignage. Notre message est tellement bredouillé quand l'enseignement des apôtres est brouillé par des siècles de controverses.

Nous avons entendu les membres de l'Eglise nous rapporter comment ils vivent et témoignent de leur foi. Réjouissons-nous que la vie de l'Eglise de Jésus-Christ n'est pas ce que certains philosophes athées contemporains en disent, mais est bien la vie du corps de Christ, Christ lui-même agissant. Un corps et plusieurs membres.

Pour que ce corps unique soit plus visiblement unique, plus audiblement unique, il nous faut encore revenir à ces quatre piliers que nous racontait Luc.

L'enseignement des apôtres. Je n'attaque pas la théologie. Mais je souhaite qu'elle soit une écoute collective et réciproque de l'enseignement des apôtres et des prophètes, qu'elle soit une étude commune de la Bible, comme étant cette parole que nous Dieu nous a laissé pour que nous en vivions ensemble.

La communion fraternelle. Puisque nous sommes membres du même corps du même Sauveur, Jésus-Christ, vivons-le dans nos relations. Nous sommes les membres d'un même corps.

La fraction du pain. Certes. Ici, il y a un hic. Que faire ? Nous écouter, nous parler, et surtout, bien comprendre que nous vivons tous de le même mort et de la même résurrection du même Sauveur, qui est la tête du même corps. Et puis si nous ne partageons pas le même pain, au moins chacun de notre côté nous le renouvelons, ce geste de Jésus.

Les prières. Prier individuellement, c'est bien, c'est indispensable, pour une relation personnelle avec son Dieu. Prier en communauté c'est aussi très important, c'est un partage spirituel. Prier en groupe interconfessionnel, c'est en plus marquer cette appartenance au même corps, cette allégeance au même Dieu.

Nous avons encore besoin que le Christ nous touche, pour que nous puissions parler correctement, pour que ce que nous disons et faisons soit intelligible. Ephphata. Sachons dépasser nos différences pour parler et agir en tant que membres du même corps de Christ.

Et alors, l'Esprit ajoutera chaque jour ceux qui sont sauvés.

Amen.

(Philippe Cousson)

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