Poitiers, 20 juin 1999

Jérémie 20:7-13
Romains 5:12-15
Psaume 69:8-14,30-34
Matthieu 10:26-33

Le passage de l'Evangile de Matthieu que je viens de vous lire, fait partie d'un ensemble plus vaste où Jésus s'adresse à ses disciples au moment où il les envoit en mission. Il leur fait tout un tas de recommandations et d'avertissements. Ce qui vient d'être juste lu a déjà été préparé quelques versets plus tôt quand il a dit par exemple
  "ne vous inquiétez ni de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz"
il demande à ses disciples de ne plus avoir d'autres soucis que l'annonce du message du Royaume qui vient.

Nous vivons maintenant à l'époque du risque zéro. Chacun veut éviter d'être responsable de ce qu'il fait, ou de ce qui pourrait ne pas aller dans ce qu'il fait. Chacun veut éviter d'être victime des erreurs d'un autre. On ouvre le parapluie. Normes, recommandations, précautions, assurances, etc.

On se couvre.

Et est-ce que Jésus demande à ses disciples de se couvrir ? De ne pas prendre de risques ? Pas vraiment. Il leur explique simplement de ne pas se tromper de risque.

Craindre, la crainte, voilà des mots courants dans la Bible. Utilisés en lien avec Dieu ou avec des hommes. Quel en est le sens véritable, avant d'être celui de peur ? Il s'agit de se reconnaître en état d'infériorité, sous la dépendance, dépassé par un autre, petit par rapport à lui. Et ce qui nous dépasse est très souvent vu comme menaçant, comme potentiellement dangereux.

Nous pouvons ressentir comme une menaçe quelque chose d'inconnu. La prudence reste de mise face à un possible innatendu. La nature du risque est inconnu. Alors méfiance.

Dès que nous savons que nous sommes en état de faiblesse, le risque est là. A nous de déterminer qui est faible et qui est fort.

Mais surtout, quand le risque est connu, risque de mal, de souffrance, alors l'attitude est toujours de l'éviter, à moins d'un problème de comportement qui dérèglerait les réflexes de protection.

D'ailleurs, Jésus en annonce des risques de souffrance : la division de la famille, le rejet, l'humiliation, les moqueries, la perte de la place dans la société humaine. Et ce n'est pas rien. Mais il nous dit cependant, que ces risques avérés n'en sont pas vraiment, du moins pas pour ce qui vaut la peine.

Car enfin, qu'est qui est menacé ? La vie dans la société humaine, la vie tout court. "Et alors ?" a l'air de dire Jésus. Ce n'est pas ce qu'il faut craindre. En fait, il veut faire comprendre que la vie, tout l'intérêt de la vie est ailleurs. Que perdre le sens de la véritable vie, qu'abandonner ce qu'il a instauré en nous, est un risque , une menace, beaucoup plus grand, beaucoup plus important, le seul véritable.

L'audace, comme dirait Danton, c'est essentiel. C'est affronter le danger, le risque. Mais quel est ce danger, puisque Jésus nous explique que ce n'est pas le véritable danger, que ce danger là est inexistant, apparent. Il est là comme un piège, qui nous détourne de la véritable prudence, de la véritable audace.

Jean nous rapporte la prière de Jésus, que l'on appelle sacerdotale. A un moment il dit de ses disciples qu'il ne sont pas du monde et qu'il sont dans le monde. C'est dans cette articulation qu'il ne faut pas se tromper. Si nous vivons dans le monde, nous n'en sommes plus complètement des ressortissants. Alors les menaces en rapport avec ce monde ne nous concernent plus vraiment.

Quel est alors le véritable risque ? C'est justement de se réinstaller dans ce monde là. C'est justement de se préoccuper de sa situation dans ce monde là. C'est d'abandonner ce que nous avons reçu le jour où nous l'amour de Dieu nous a atteint, et où nous ne l'avons plus repoussé.

Quand notre vie a été renouvelée, réveillée, révèlée par l'amour et l'Esprit de Dieu, un nouveau monde s'est ouvert devant nous, un monde différent, où les autres sont différents, où Dieu est différent, où les événement sont différents, ou notre regard et notre action sont différents. Voudrions-nous renoncer à ce que la grâce et le salut de Dieu nous ont fait connaître ? Pour défendre un petit bout de ce monde qui nous entoure, de ce monde qui quoique merveilleux et attachant est aussi un monde de mesquinerie, d'égoïsme, de suffisance ? Oui, qu'est-ce qu'il est préférable de craindre ? Qu'est qu'il est préférable de craindre de perdre ? Qu'est-ce qu'il est préférable de garder ?

Mais enfin, pourquoi Jésus nous met-il devant ce dilemme ? Pourquoi ne serait-ce pas possible de vivre dans les deux mondes, sans histoires, sans anicroches ? Comment se fait-il qu'il y a, à un moment donné, rupture, tension ? Où est le problème ?

Il se trouve dans le fait que sa grâce, Dieu veut l'annoncer aux hommes, et qu'il a choisi ceux qui l'ont reçue pour l'annoncer. Celui qui vit de l'Evangile, celui qui a changé de monde, d'échelle de valeurs, de vie, celui là est chargé de transmettre, d'annoncer cet Evangile.

Et voilà pourquoi Jésus prodigue à ses disciples ses consignes, ses recommandations.

Il leur demande de le confesser plutôt que de le renier. Confesser, c'est parler en accord avec. Renier, c'est se désolidariser.

Vous serez persécutés, menacés dans vos vies, dans ce qui vous touche dans ce monde où vous êtes. Et pourtant, vous ne devez rien craindre de ces menaces, importantes, certaines aux yeux des autres hommes. Mais là n'est pas le véritable danger. Le seul véritable danger serait que l'amour de Dieu vous soit retiré. Ou je devrais plutôt dire, pour être exact, le seul véritable danger serait que vous vous retiriez de l'amour de Dieu. Le choix est plutôt là : est-ce que je prends le risque de laisser l'amour de Dieu pour protéger ma vie, ou quelque autre intérêt ?

Et si je choisissais le monde, le monde m'en serait-il reconnaissant ? Serais-je payé en retour ? Et Dieu, laissé de côté, quelle serait alors ma relation avec lui ? Faite de remords ? De tristesse ? D'amertume ?

Et pourtant, Dieu nous a dit qu'Il ne nous abandonnerait pas. Alors que faut-il craindre ? Que faut-il préférer ? Jésus nous rappelle, à nous ses disciples, que nous avons une telle valeur à ses yeux que sa protection est certaine. Il n'abandonne pas celui qui reste sous sa grâce. Et on s'en détournerait ? Allons donc.

Et puis de toutes façons, vous pourriez me dire : Et puis d'ailleurs, nous autres ici, nous n'avons pas été envoyés en mission. Nous ne sommes pas partis deux par deux, avec l'équipement minimum. Nous avons une vie quasi normale.

Effectivement. Mais voilà. Nous avons une vie quasi normale. Pas une vie normale. Si notre vie a été atteinte par l'amour de Dieu, il n'est plus possible d'avoir une vie normale. Notre vie est différente. Oh, pas nécessairement très différente de celle de nos voisins, mais différente. Et quoique nous en pensions, cette différence se voit, se remarque. Parfois les questions de ceux qui nous entourent sont formulées, parfois non. Mais elles restent. Y répondre, voilà notre mission. Et voilà le début des choix cornéliens : où est notre crainte ?

Pour vivre heureux, vivons cachés. Impossible ! Même à l'époque de l'Eglise du Silence, les croyants témoignaient. Bien sûr pas en remplissant les stades. Mais ils témoignaient. Et l'Eglise s'accroissait. Nous ne sommes pas en un lieu et un temps de persécution franche. Et pourtant, il est des comportements difficiles à supporter, des attitudes de mépris, que nous préférerions éviter. Et d'ailleurs, Jésus nous demande de ne pas tenir notre foi secrète.

Oui, je sais il est certains témoignages qui tombent à côté, qui seraient plutôt repoussoirs qu'attirants. Mais même de ceux-là, Dieu se sert parfois. Comment savons-nous comment l'Esprit peut toucher tel ou tel ? Nous ne le savons pas. Alors témoignons. Témoignons sans trop nous soucier de ce qu'il faut dire exactement. Dieu nous aime. Il aime ceux qui nous entourent. Aimons-les. Montrons leur l'amour de Dieu. Et parlons leur de cet amour.

Si vous êtes dans le cas de celui qui pense qu'ayant une fois renié sa foi, il sera renié par Jésus devant Dieu, irrémédiablement, je dois vous dire qu'il y a un problème dans votre raisonnement. Si vous cherchez à rétablir le contact avec Dieu, sachez que Lui, Il ne l'a pas coupé, puisque la rupture vient de vous. Lui, Il est toujours là. Il reste le même. D'ailleurs, Il vous attendait.

Nous allons bientôt communier ensemble. Nous allons rappeler par ce geste la venue, la mort et la résurection du Christ Jésus. Mais nous allons surtout en participant à ce repas symbolique témoigner de notre foi en Dieu, en son amour qui nous fait vivre, et proclamer à tous que nous sommes des disciples du Christ, que nous sommes envoyés dans ce monde où nous vivons, que nous sommes sûrs de Lui. De Lui, pas de nous-mêmes. Que la paix qu'il nous donne n'a rien d'une paix armée. Elle est la confiance d'un enfant qui court vers sa mère. Elle n'est pas faite de protections et de précautions.

L'Evangile de l'amour de Dieu pour les hommes et pour nous est ce qui nous fait vivre. Vivons-en sans crainte. Témoignons-en sans crainte.

Amen.

(Philippe Cousson)

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