Poitiers, 15 août 2004

Luc 1:39-56
1 Corinthiens 15:20-28
Apocalypse 11:15-12:18

Chers frères et soeurs,

Quand on regarde le lectionnaire et plus particulièrement les textes de ce 15 août, on comprend qu'il est d'origine catholique. Il y a bien des choses à dire au sujet de Marie, comme modèle de foi et de vie, mais vous comprendrez peut-être qu'en ce jour où le pape de Rome vient à Lourdes pour célébrer l'anniversaire d'un dogme du 19e siècle, je préfère remettre cette étude à un autre jour. Il faut noter par ailleurs que le dogme en cause, l'immaculée conception, ne concerne pas directement le Christ, mais bien uniquement la conception et la naissance de Marie. Idée bien saugrenue pour nous autres protestants.

Restaient les textes des Corinthiens sur la mort et celui de l'Apocalypse. J'ai retenu ce dernier. Je n'en ferai pas une étude exégétique recherchée. Je vais essayer d'en retirer un message pour nous ce matin.

Ce livre de l'Apocalypse est défini dans son contenu par ses premiers mots : Révélation de Jésus-Christ. Ce livre n'est pas là pour nous parler d'éventuels événements à venir, mais bien pour nous parler de Jésus-Christ, de l'histoire du salut en Jésus-Christ.

Son auteur a choisi cette forme littéraire pour cette proclamation. C'était une forme couramment utilisée à l'époque. Il s'appuie donc sur un modèle existant, il reprend des images des textes vétérotestamentaires, mais aussi des images des mythes des religions païennes, pour à chaque fois nous parler de Jésus-Christ, et du salut en Jésus-Christ.

Son texte, allégorique, elliptique, a permis de nombreuses interprétations différentes.
En voici les principales :
- une histoire du salut depuis les origines jusqu'à l'événement majeur de la croix, et ses conséquences ;
- ou alors un récit d'encouragement pour les temps de persécutions de l'église primitive ;
- ou encore une histoire des derniers temps.
C'est cette dernière analyse qui a fait le plus de bruit, en relation aves des passages de Matthieu ou de Daniel par exemple, et qui a laissé le nom grec du livre comme nom commun pour parler de fin des temps, l'apocalypse, fin des temps catastrophique. Vous voyez qu'on est loin du titre du livre, Révélation de Jésus-Christ, dans les références culturelles de nos contemporains.

Je vais très rapidement regarder quelques images ou symboles de ce passage.

Le temple : il ne s'agit pas ici du temple de Jérusalem, mais d'un sanctuaire, naos, terme plus général, que la plupart des commentateurs relie au culte céleste, à la liturgie divine dont le culte juif n'était que l'image.

La femme enceinte puis poursuivie, enveloppée de lumière et couronnée : Les hypothèses sont au choix, Marie, mère du Seigneur (on peut comprendre pourquoi), le peuple d'Israël, l'Eglise comme nouveau peuple élu, ou bien l'ensemble de l'humanité.
En passant, cette couronne de douze étoiles, cela ne vous rappelle rien ? Eh oui, le drapeau européen. Ce symbole hautement marial aurait été mis en avant comme choix de drapeau pour le Conseil de l'Europe par un fonctionnaire zélé, puis repris par la CEE, qui est devenue l'Union Européenne. Vous avez dit laïcité et héritage spirituel ?

Le dragon : là cela semble plus simple, puisque c'est précisé plus loin : Satan, le serpent ancien, l'accusateur des frères, et le chef d'une troupe d'anges à son service. Il est ici plus que celui qui fait croire qu'il existe, plus que la personnification d'une idée.

Le fils : beaucoup voient ici le Christ, le Messie, et l'image de celui qui paît avec une verge de fer est une allusion au Psaume 2, verset 9, reprise aussi dans Apocalypse 19:15.

Le fleuve qui tente de noyer la femme est souvent rapproché de l'épisode du passage de la Mer Rouge, ou le peuple échappe à l'eau.

Et on retrouve souvent dans la Bible le désert comme endroit de refuge, mais aussi pour Jésus, comme endroit de tentation, de rencontre avec Satan.

Pour conclure ce passage en revue, certains commentateurs constatent que Jean reprend en les adaptant des mythes antiques comme celui de naissance extraordinaire, par exemple celle d'Apollon, ou d'Horus, connues de ses contemporains. Mais ici, il ne s'agit pas de la naissance d'un dieu. L'enfant est enlevé vers Dieu et vers son trône.

Je reprendrai tout de même un peu le thème du dragon. Son apparition, qui correspond à des images du livre de Daniel, comme les autres bêtes des chapitres suivants, donne une explication à l'intervention du mal dans notre monde. L'évocation de la guerre entre les légions du dragon et les légions de Michel sont un résumé qui pourraient nous faire penser à des récits mythiques, comme ceux de Tolkien dans le Seigneur des Anneaux, grands combats entre le bien et le mal, le mal absolu et personnifié. Satan, Sauron, même combat.
Satan est un séducteur. Sauron aussi, qui séduit par la puissance qu'il peut offrir. L'un et l'autre sont associés à l'utilisation du feu. L'un et l'autre ont un certain pouvoir sur la nature. Mais un pouvoir limité.

Tolkien n'a pas osé, comme l'a fait au même moment Lewis dans les Chroniques de Narnia, personnifier le bien. Il n'y a pas chez Tolkien de personnage correspondant à Aslan, le lion qui est sacrifié et ressuscite. Gandalf n'a pas exactement ce rôle.

Revenons à l'arme principale du dragon, l'accusation. Il est celui qui devant Dieu, mais aussi devant les autres, et surtout chacun pour soi, qui accuse, qui reproche, qui sans arrêt replace n devant ses manquements, son péché. Comme il était celui qui dans la Genèse disait déjà : Dieu a-t-il vraiment dit ?, il est celui qui dit : le salut de Dieu, la grâce de Dieu, sont-ils vraiment gratuits et suffisants ? La croix est-elle vraiment le lieu du salut ? Le voilà le piège, qui sans arrêt remet en doute ce salut de Dieu, donné une fois pour toutes.

Et ce passage mentionne plusieurs fois, ceux qui se sont placés au bénéfice de ce salut gratuit. Ce sont les serviteurs, les prophètes, les saints, ceux qui craignent le nom du Seigneur, de Dieu, ceux qui retiennent le témoignage de Jésus, qui gardent les commandements de Dieu, ceux qui témoignent en parole.

Et c'est justement ce qui est insupportable au dragon, que sa séduction et son mensonge soient dénoncés, que le royaume de Dieu, le salut de la croix, l'autorité du Christ soient proclamés. Le témoignage, voilà pour le dragon l'ennemi à combattre. Toute autre gloire plutôt que celle de Dieu. Plutôt la gloire des nations, plutôt la gloriole individuelle, plutôt la recherche effrénée des plaisirs et des mérites. N'importe quoi plutôt que le témoignage au Christ, plutôt que l'annonce du royaume et de la gloire de Dieu. Tout pour empêcher ça, y compris les poursuites, les persécutions. La colère du diable est grande. Parce qu'il sait que le temps lui est compté. Mais il utilise aussi d'autres moyens. Ce témoignage est noyé dans un flot d'autres discours, emporté par des courants de modes et de tendances, à tel point qu'il n'est presque plus audible, et pratiquement plus entendu. La séduction est un discours beaucoup plus facile à entendre. Et il n'est même pas nécessaire au dragon de prendre la vie pour faire cesser le témoignage.

Et que font les voix fortes qu'on entend deux fois dans ce passage ? Justement cela. Elles disent, elles proclament le témoignage au Christ, le royaume et la gloire de Dieu. Ces voix sont celles de la liturgie céleste, celle du culte perpétuel rendu à Dieu.

Ce sont aussi les fonctions qu'a notre liturgie, notre culte. Son objectif essentiel est de dire, de proclamer la gloire de Dieu, d'annoncer son royaume, la venue de son salut, le témoignage de Jésus. Notre culte est avant tout un culte d'adoration, de louange. C'est aussi un lieu de proclamation du salut offert gratuitement. C'est un lieu de témoignage à l'oeuvre du Christ.

Reprenons les différents moments de notre culte, dans son état actuel, à Poitiers. Il commence par un moment de louange à Dieu, où nous nous rappelons de son oeuvre créatrice et salvatrice. Ensuite nous proclamons la repentance et le salut offert, par un rappel régulier chaque dimanche et par la prédication. Par la cène nous commémorons et annonçons cette victoire que fut la croix, suivie de la résurection.

Que venons-nous faire, le dimanche matin, dans ce lieu ?
Nous affirmons que le fait de venir, régulièrement ou pas, n'apporte rien de plus à notre salut. C'est la conviction que nous avons héritée des Réformateurs. Oui, effectivement, venir au culte n'apporte rien au salut. On peut se sentir mieux ensuite, bien sûr. Mais cela reste au niveau des sentiments.
Alors pourquoi venir, si ce n'est pas pour gagner un peu de son salut ?
Tout simplement pour répondre à un appel de Dieu, pour être présent à son rendez-vous, parce que sa présence nous est agréable, sinon nécessaire. Mais surtout pour lui rendre gloire. Pour proclamer la venue de son royaume, de son salut. Pour l'adorer.
Cela, chacun peut le faire seul, chez lui. Mais le service de Dieu est un service communautaire. La proclamation de sa gloire est collective. Elle se fait en assemblée, en église.

Si on reprend les récits bibliques de l'origine de Satan, on peut noter que l'orgueil est l'origine de Satan. Qu'il ne peut supporter la proclamation de la gloire, de la puissance et du règne de Dieu. Le culte, la liturgie, le service d'adoration de Dieu, sont des choses qui sont combattues avec des armes très variées. En certains endroits avec des persécutions, dans d'autres de manières beaucoup plus subtiles, par la séduction, ou par la submersion de tas d'autres préoccupations.

Le culte de Dieu ne doit pas se limiter au culte céleste raconté dans le livre de l'Apocalypse, il doit aussi se tenir sur cette terre, sur laquelle est venu le Christ pour offrir sa vie pour notre salut. Et c'est à nous de célébrer ce culte de louange, d'adoration, de proclamation, en l'honneur de ce Dieu qui nous offre ce salut gratuit, cette grâce dont nous pouvons maintenant vivre, et dont il nous faut témoigner.

Amen.

(Philippe Cousson)

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