Poitiers, 16 juillet 2006

Amos 7:12-15
Ephesiens 1:3-14
Marc 6:(1-)7-13

Frères et soeurs,

A la fin du 19e siècle, un groupe de peintres, voyageant entre Pont-Aven en Bretagne et Paris, a décidé de prendre le nom de Nabis. Leur objectif était de rénover l'art de la peinture, et c'est ce qu'il firent. Autour de Paul Sérusier, se sont réunis Edouard Vuillard, Pierre Bonnard parmi les plus connus, ainsi que le sculpteur Aristide Maillol. Ils recherchaient les sources les plus pures de l'art, la sensation primitive, l'émotion sincère. Si l'arbre est vert, alors on le peint en vert, en vrai vert, sorti du tube. En fait la peinture n'a pas à être une reproduction de la nature, mais un équivalent, une transposition. Il s'agit de redonner subjectivement une sensation. Il s'agit de construire le tableau, sans lien nécessaire avec le sujet dont il s'inspire. De plus, ils ont toujours chercher à rapprocher l'art de la vie quotidienne. Ils ont donc associé leur art avec l'artisanat, l'industrie naissante. L'aspect confrérie, la volonté quasi mystique de changer l'art leur ont donné le sentiment d'être des prophètes. C'est pour cela qu'ils se sont donnés ce nom de Nabis. Il s'agit en fait de l'adoption d'un mot hébreu, qui veut tout simplement dire prophète, bien que, comme vous pourrez le constater, il leur manque le côté de la vocation, de l'appel divin.

Bien qu'ayant répondu à cet appel divin, le prophète Amos ne revendique pas ce titre de prophète, de nabi.
Il est donc apparu dans le royaume du Nord vers le milieu du 8e siècle avant notre ère. Il venait d'une petite ville du royaume du Sud où il était berger, ou bouvier, et arboriculteur de sycomores.
A l'époque où il intervient dans le royaume du Nord, celui qui règne est Jéroboam, le second, de la lignée de Jéhu, et le royaume est dans une période de prospérité économique et politique. Il a quasiment récupéré toutes ses frontières historiques, ses voisins sont affaiblis et le commerce est florissant. Mais cette richesse est loin de profiter à tous. Une classe de possédants s'est tout accaparé, méprise et exploite la population. Et le système religieux a suivi cette pente.
Le message d'Amos est un rappel à l'ordre du peuple et de ses dirigeants. Il est aussi annonce de malheurs à venir pour les grands et pour tout le peuple.
Le livre d'Amos est selon l'ensemble des commentateurs le plus anciens des textes écrits de prophète. Son ministère semble de courte durée, et on ne connaît pas sa fin. Il n'est petit prophète que par la place qu'on lui a donné dans la Bible, et par la longueur de son texte, mais pas par son message, qui sonne comme un rugissement de Dieu, titre d'un commentaire et allusion à plusieurs passages.

Voyons donc un peu quelles sont les caractéristiques du prophète de l'Ancien Testament, qu'il soit reconnu nabi ou pas.
D'abord, le prophète est appelé par Dieu. Il répond à une vocation. On connaît un certain nombre de récits ou d'évocations, en plus de celle d'Amos, il y a celle d'Esaïe, de Jérémie, de Samuel, d'Elisée, etc.
L'insistance d'Amos sur le fait qu'il n'est ni prophète (nabi), ni fils de prophète, montre qu'à l'époque, il y avait aussi des prophètes professionnels, et des écoles de prophètes. Mais contrairement à ce qu'on pourrait déduire, ces prophètes-là n'étaient pas tous mauvais. Mais Dieu a souvent préféré prendre un homme, quelque part, et lui confier un message. Parce que voilà la deuxième caractéristique du prophète, le message que Dieu lui donne. Le prophète ne parle pas de lui-même, il porte la parole de Dieu aux hommes. Du reste, il est aussi chargé de porter vers Dieu la parole des hommes.
Au moment où il abandonne sa vie quotidienne pour obéir à l'appel, le prophète ne peut plus compter que sur Dieu. Voilà une autre caractéristique du prophète, sa dépendance de Dieu.

Un prêtre du culte royal, de la religion officielle dans ce royaume du Nord, mélange de culte de l'Eternel et de cultes païens, est indisposé par le message d'Amos. Il décide donc d'en avertir le roi, en accusant le prophète de sédition. Puis il va voir le prophète et lui enjoint de partir, non pas pour aller se faire pendre ailleurs, mais pour aller manger son pain ailleurs.
On voit assez rapidement qu'il n'a pas compris le ministère du prophète.
Il lui reproche de venir de l'autre royaume, du Sud. Il suppose qu'il est ici pour vivre de sa prophétie, comme un professionnel qui viendrait peut-être bénéficier de l'essor économique.
Il faudra donc qu'Amos lui réponde.
D'abord, il n'a pas choisi d'être prophète, il ne revendique pas ce titre. Il n'est passé par une formation de prophète. Je ne suis pas un nabi, un prophète, je ne suis pas un ben-nabi, un fils de prophète. Je suis un berger, un bouvier, un paysan. Je m'occupais de mon troupeau, de mes sycomores, arbres ingrats à cultiver, figuiers du pauvre. C'est à dire, je vivais, à Teqoa. Je n'avais pas besoin de venir immigrer chez vous.
Et puis un matin Dieu a appelé le berger, et lui a dit d'aller en Israël porter son message, message de dénonciation et d'appel, d'avertissement. Et tout simplement, il y est allé.
Et ce message était tellement important qu'il a été transcrit, transmis par écrit, qu'il est parvenu jusqu'à nous, alors que les paroles de tant de prophètes, de fils de prophètes, de nabis, se sont perdus dans le temps.

Les deux passages de l'Evangile de Marc font aussi allusion à ce rôle de prophète, d'envoyé, d'apôtre.
Comme Amos, Jésus a été envoyé ailleurs que chez lui.
Comme Amos, les apôtres, les disciples envoyés deux par deux, sont entièrement dépendants de Dieu. Il ne doivent rien emporter, qui puisse être ne sorte de garantie de survie.
Le message des douze, le message de Jésus, le message de Jean-Baptiste, est celui de la repentance. De la repentance et de la guérison.
De même qu'Amos, aucun des douze n'était un professionnel de la parole de Dieu, même si ils avaient déjà vécu un certain temps en compagnie de Jésus, et que ce voisinage a très certainement été très formateur.

Cet appel à la repentance, cette dénonciation des péchés, ont très certainement été la cause de la réaction du prêtre Amatsia. En dénonçant l'homme, en lui refusant le droit de prêcher ailleurs que chez lui, en n'acceptant pas sa façon de proclamer le message de Dieu, ce qu'il rejetait en fait, c'était la substance même du message d'Amos. Sa situation de prêtre officiel aurait été incompatible avec une acceptation de la parole délivrée par Amos.
C'était plus facile de tout rejeter, le messager avec le message.
C'est aussi ce qui arrive quand, comme le souligne Jésus, le messager est par ailleurs bien connu. Le message n'est entendu qu'à travers ce qui est déjà connu de son porteur. On ne voit plus que le porteur, ou ce qu'on pense en savoir, et on n'entend plus le message.
Et quand on refuse le message, il est plus facile de réfuter le messager que le message. Combien de fois la foi chrétienne a-t-elle été combattue, non pas directement mais par l'intermédiaire de ses porteurs. Pour attaquer le christianisme, on attaque les chrétiens, et c'est ma foi assez facile, parce que les chrétiens, tous au long de l'histoire ont été loin d'être parfaits. Mais l'attitude intellectuelle qui consiste à attaquer la foi en attaquant la vie des croyants est bien mince.
Il nous faut donc à la fois être conscients que nous ne sommes pas parfaits, et que parfois notre témoignage est contredit pas notre vie, et il faut se laisser sanctifier par le Seigneur pour un meilleur témoignage. Mais il faut aussi comprendre que parfois, nous sommes des prétextes faciles pour rejeter un message gênant pour le moins. Plutôt que de nous présenter nous-mêmes, il nous faut le plus possible nous effacer pour amener ceux que auxquels nous témoignons à la rencontre personnelle avec le Christ, comme l'exemple nous en est donné dans l'Evangile.

Parmi les caractéristiques du prophète, qui s'appliquent aussi au prédicateur, il y a le message à transmettre. Un prophète sans message n'est plus un prophète. Le prophète est quelqu'un qui a quelque chose à dire, et non pas quelqu'un qui a à dire quelque chose.

Parmi les responsabilités des croyants, le témoignage est souvent cité en première place. J'y ai d'ailleurs fait allusion ce matin. On cite aussi souvent l'amour du prochain, l'aide aux pauvres, aux malades. Et d'ailleurs les deux sont à la fois compatibles et complémentaires, indispensables l'un à l'autre. Mais le texte de l'épître d'aujourd'hui donne pourtant une toute autre réponse quant à la responsabilité principale des croyants, de l'Eglise : la louange, l'adoration.

Si Dieu nous a choisis, placés au bénéfice de sa grâce, c'est donc pour le culte et la louange. Et c'est pourtant aussi, parce que cela en fait partie, pour porter le message de repentance et de grâce, pour manifester aux hommes son amour et son secours. Et il nous faut comprendre que ce message peut être reçu ou rejeté, que s'il est reçu, c'est par le Saint Esprit, et que s'il est rejeté, c'est Dieu qui est rejeté et non pas nous. Les gens de Nazareth n'ont pas su distinguer le message et son porteur en se demandant d'où lui venait cette sagesse. Amatsia n'a pas su voir le message de Dieu, et n'a vu que le prophète méridional. Nous n'avons pas à nous présenter nous-mêmes, il nous faut nous effacer et présenter le message de Dieu, qui nous dépasse et nous remplit, et pour lequel nous rendons grâce, pour lequel nous rendons un culte.

Amen.

(Philippe Cousson)

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