Poitiers, 7 mai 2006

Actes 4:8-12
1 Jean 3:1-2
Jean 10:11-18

Chers frères et soeurs,

Lorsque le prédicateur prépare ce qu'il va dire, quand il regarde les textes proposés, qu'il les étudie, qu'il les retient ou en choisit un autre, quand il cherche quel est le message à délivrer de la part du Seigneur, il ne se met pas en situation de donneur de leçons, de celui qui sait mieux que les autres, de celui qui du haut de son expérience peut se permettre de faire des remontrances aux autres.

Non, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que face aux textes bibliques, porté peut-être par d'autres lectures, le prédicateur se met à l'écoute de Dieu, et qu'en fait en préparant la prédication, il en est aussi un des auditeurs. C'est à dire que le prédicateur, s'il prêche à la communauté rassemblée, se prêche aussi à lui-même. Ce que vous entendez le dimanche matin, le Saint -Esprit vient de le dire à celui qui parle. Et il arrive que la leçon soit forte.

Rappelons-nous la question posée au sujet de Jésus : Avec quelle autorité parle-t-il ? Au nom de qui, au nom de quoi ? Cette question reste pour le prédicateur. Et le prédicateur doit rester humble. Non, il ne parle pas de sa propre autorité. Il prêche au nom de Jésus-Christ, au nom de Dieu. Il prêche le salut qu'il est bien incapable lui-même de prodiguer, mais que Dieu donne dans sa grâce. Le prédicateur est un canal, un outil dont Dieu se sert, ni plus ni moins.

La prédication, l'édification, l'annonce de l'Evangile, ne sont pas toutes localisées en un lieu et un temps donnés. Chacun peut être appelé à devenir prédicateur de l'Evangile là où la vie le place, là où son témoignage le place, quand il se laisse interpeller par le Saint-Esprit.

C'est ce qui est arrivé à Pierre et Jean dans ce récit des Actes des Apôtres.
Un boiteux était chaque jour porté à la porte du Temple appelée la belle. Pierre et Jean qui vont au Temple passent devant lui. Comme il le faisait pour chaque fidèle qui passait, l'homme leur demande l'aumône. Et, au lieu de pièces de monnaie, les apôtres lui adressent la parole : lève-toi et marche. Et ils lui prennent la main, et il se lève, marche saute.

Cette scène a eu beaucoup de témoins, auxquels Pierre a prêché, a expliqué l'Evangile. Et c'est alors que les autorités religieuses du peuple les arrêtent, et leur demandent des comptes après une nuit de prison. Voilà les circonstances de notre passage. Après un discours au peuple, il doit parler aux chefs. Le livre des Actes nous redonne ses paroles en quelques versets (5), alors que le discours au peuple était plus développé (15 versets).

Nous allons donc nous pencher sur ces quelques versets pour ensuite chercher un message pour nous ce matin.

Pierre rappelle aux autorités ce qui est à l'origine de ses ennuis judiciaires : un bienfait accordé à un homme malade, qui a été guéri.
Une première petite remarque linguistique : le mot traduit par bienfait euergesia est comme en français composé de deux parties dont la première signifie bien, bon. La deuxième partie en grec a formé en français par exemple le mot ergonomie. Cette racine signifie le travail, l'action, le fait. Bienfait semble donc une bonne traduction. Mais pour aller plus loin, je vous rappelle un autre mot grec, qui n'a pas été vraiment traduit en français puisqu'il s'agit du mot euaggelion, évangile, qui lui aussi commence par ce même préfixe bon, bien, et est parfois traduit par bonne nouvelle. Ce qui peut suggérer que ce bienfait est en fait une bonne nouvelle, un évangile en action.
Une autre : cet homme était malade, asthenous, c'est à dire faible, malade, infirme, et étymologiquement sans force. Les disciples l'ont d'ailleurs aidé à se lever, à, se relever, en fait à ressusciter.
Et encore : deux mots différents sont utilisés pour indiquer que l'homme est guéri : au verset 9 et au verset 10. En plus de guéri, de sain, le deuxième mot signifie aussi entier. Cet homme a donc été rétabli dans son entièreté, dans sa plénitude, dans sa complétude.
Le premier mot est lui de la même racine que le verbe sauver ou que le nom sauveur que l'on trouve au verset 12. Etre guéri, c'est aussi être sauvé, être délivré, et réciproquement. Le salut de Dieu, c'est aussi la délivrance, la guérison.
La bonne nouvelle, l'évangile qui a atteint cet homme sans force, abattu, malade a donc été une b.a., une bonne action, un bienfait, un évangile en acte, qui l'a relevé, qui l'a guéri, qui l'a délivré, qui l'a sauvé.

Mais, dans le discours de Pierre, ce n'est pas la guérison de l'homme qui est l'essentiel, c'est de savoir pourquoi cette guérison a eu lieu, ou plutôt comment, par quel nom. A l'époque où les actes et les invocations magiques étaient souvent l'explication de phénomènes surprenants, Pierre donne l'origine du prodige qui a ému les foules, et les chefs. Le nom de Jésus-Christ, vous savez, celui qui est mort crucifié, celui que vous avez crucifié, et que Dieu a relevé de la mort. Voilà le nom qui apporte le salut, la guérison, la délivrance. Et il précise même au verset 12 qu'il n'y a pas d'autre nom parmi les hommes par lequel nous devions être sauvé. Il n'y a de salut en aucun autre.

Et Pierre cite ici un passage de l'Ancien Testament, du prophète Esaïe (28:16), lui-même sans doute reprise du Psaume 118, verset 22. Jésus est la pierre rejetée, devenue la pierre angulaire. Nous avons l'habitude de comprendre la pierre angulaire, c'est à dire celle qui est à l'angle de la maison. Mais un commentateur suggère une autre interprétation. La principale de l'angle, c'est aussi la tête en coin. C'est à dire, une pierre en forme de coin, qui est mise de côté pour devenir la clé de voûte qui tiendra l'ensemble. Je ne connaît pas assez l'architecture hellénistique pour dire si c'est plausible, mais je trouve cette image intéressante.

Une autre hypothèse qu'il faudrait vérifier mais que je trouve aussi intéressante. Les mots savoir et angle en grec sont phonétiquement et graphiquement proches, ici gnôston et gônias. Même s'il ne sont peut-être pas étymologiquement proches, même s'il est fortuit, je trouve ce rapprochement significatif comme si les mots se répondaient, comme si Jésus, la pierre de l'angle était aussi la clef de la connaissance, sinon la clef de voûte.

Si Pierre tel que nous le rapporte Luc dans ce livre des Actes, a dû défendre ainsi l'action qu'il a eu avec Jean, c'est par ce que les autorités leur ont demandé. En fait, ils ont été sommé de s'expliquer. Ils étaient convoqués à un tribunal. Ils étaient interrogés. Ce n'était pas une discussion de salon, c'était une procédure judiciaire. Ils avaient opéré une guérison, sans être autorisés. Ils parlaient au peuple et l'enseignaient, sans autorisation là non plus, et sans formation adéquate. Et ils parlaient de Jésus-Christ, le supplicié, et ils annonçaient la résurrection des morts, pardon le relèvement des morts. Qu'ils aient relevé ce malade, passe encore peut-être, mais qu'ils annoncent Jésus-Christ, le relevé, et sa délivrance, son salut, là ça ne va plus. Par quel pouvoir, et au nom de qui avez-vous fait cela ?

C'était quand même une situation incongrue, où des hommes sont convoqués, interpellés, pour une bonne action, pour l'annonce d'une bonne nouvelle.

Mais, si vous vous souvenez, ce n'est pas une situation unique dans le Nouveau Testament. On trouve ceci aussi dans l'épître de Pierre justement : 1 Pierre 3:15. Soyez toujours prêts à vous défendre ...devant quiconque demande raison de l'espérance qui est en vous.

Mais si l'espérance qui était en Pierre et Jean était resté en Pierre et Jean, personne ne leur aurait demandé raison de celle-ci. C'est bien parce qu'elle s'est manifestée sous la forme de cette guérison, de cette délivrance, de ce relèvement, que d'abord le peuple, puis les autorités ont demandé raison aux Apôtres de cette espérance agissante.
L'espérance des Apôtres est une espérance agissante et prêchante, en action et en prédication.

De la même manière que Dieu a conduit ses Apôtres vers cet homme, de la même manière Pierre a reçu une aide de Dieu pour parler. Le verset 8 nous précise qu'il est à ce moment-là rempli du Saint-Esprit. La bonne nouvelle n'est pas un message humain, elle n'est pas le résultat d'une intelligence humaine, elle est grâce de Dieu, communication de Dieu. Si c'est au nom de Dieu qu'il y a eu délivrance, guérison, salut, c'est aussi par Dieu que la parole, la bonne nouvelle est annoncée, proclamée.

Je voudrais revenir sur un autre épisode, dans l'évangile de Luc, celui là : Luc 10:9. Jésus envoie les soixante-dix en mission. Et il leur confie en message, en plus des actions de guérison : le Royaume de Dieu s'est approché de vous, doivent-ils annoncer.
Quand Pierre et Jean ont guéri cet homme, c'était aussi un signe que le Royaume de Dieu s'était approché de cet homme et de cette foule. Et c'est ce que Pierre annonçait.
La bonne action et la bonne nouvelle vont de paire. L'un ne peut aller sans l'autre.
Le Royaume de Dieu ne s'approche vraiment que dans ce cas.

Où en sommes-nous chacun pour soi et en communauté ? Sommes-nous assaillis de questions sur nos b.a. ? Des foules attendent-elles que nous expliquions nos relèvements ? Comment comprenons-nous la mission qui nous été confiée quand le salut nous a atteints ? Et au nom de qui, de quoi agissons-nous ?

En fait, l'Eglise, c'est quoi ? Que fait-elle ? A quoi sert-elle ? Pour qui roule-t-elle ?

L'Eglise est le rassemblement de ceux que le Seigneur a appelés, qu'il a relevés. Mais aussi, à ceux-ci il a laissé quelques instructions, sur ce qu'il fallait faire ou être, sur la sanctification à rechercher, sur l'amour fraternel à vivre, sur l'amour du prochain.
Pourquoi donc ces instructions ? Parce que c'est ainsi que Dieu veut manifester son amour aux hommes.
Nous sommes donc le canal par lequel Dieu manifeste son amour, son salut. C'est par nous qu'il a choisi de faire passer ses bienfaits et son évangile. Ne nous a-t-il pas relevé, guéri, sauvé ?
L'Eglise doit vivre de sa foi et manifesté son salut, celui qu'elle a reçu, qu'elle est chargé de transmettre.
Il nous est demandé comme Pierre et Jean de poser des gestes de salut, de guérison, et de répondre de l'espérance qui est en nous. Mais pour cela, il nous faut comme Pierre et Jean nous laisser remplir du Saint-Esprit. De la même manière que nous avons senti dans nos vies le Royaume de Dieu s'approché de nous, il nous faut aussi être ces fournisseurs d'accès au Royaume de Dieu, ceux par lesquels le Royaume de Dieu s'approche de ceux qui nous entourent, de ceux qui s'approchent de nous.

Ils ne manquent pas autour de nous, ces endroits, ces moments, qui s'ils ne sont pas la "belle porte" sont autant d'endroits où le regard de Dieu se pose, et où le nôtre pourrait aussi se poser si nous nous laissons conduire par cet amour de Dieu qui ne demande qu'à remplir nos vies et à en déborder.

Amen.

(Philippe Cousson)

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