Lusignan, 28 juin 1998

1 Rois 19:16b,19-21
Gal 5:1,13-18
Luc 9:51-62

Est-il facile de suivre Dieu ?
Elie a appelé Elisée, et des disciples ont voulu suivre Jésus. Et ils ont eu les uns et les autres le même réflexe. Se séparer de leur vie antérieure par une cérémonie, par un rite.
En bref, ils ne sont pas encore libres.
Vous me direz : quoi de plus normal que de vouloir embrasser ses parents ? D'aller ensevelir son père ? De vouloir prendre congé des siens ?
Elie a accepté d'Elisée ce geste, mais Jésus l'a refusé.
Au delà de ces rituels de vie sociale, et de psychologie, il y a certainement plus à comprendre. En quoi donc une soumission à ces règles, à ces coutumes est-elle une entrave à la liberté, est-elle un esclavage ? C'est ce que nous allons essayer de comprendre, un peu.

Traditionnellement, la liberté, c'est le contraire de l'esclavage. L'esclave, c'est celui qui fait ce que lui commande son maître, et qui n'a rien à dire. L'homme libre, c'est celui qui décide lui-même de son destin. En fait donc, la liberté consiste à pouvoir choisir, pouvoir déterminer ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire. C'est le pouvoir d'agir. C'est pouvoir choisir seul en fin de compte. Pour qu'il puisse y avoir liberté, il doit y avoir possibilité de choix, existence de plusieurs alternatives. Quand il n'y a jamais de choix possible, il ne peut pas y avoir de liberté.
Et quand il y a choix, il y a forcément critère de choix. Pourquoi choisir de faire une chose plutôt qu'une autre, ou que de ne rien faire ? Qu'est-ce qui fait que je vais choisir une direction plutôt qu'un autre ?
Quelles sont les motivations des choix de nos contemporains ? On peut en identifier un certain nombre. La recherche du plaisir, ou alors la convoitise de ce qui pourrait apporter ce plaisir, voilà un moteur fort dans la justification des actions humaines. Lié au premier, voici la recherche de la notoriété, être vu, connu, reconnu. C'est ce que Paul nomme "la chair". Jusqu'ici, pas grand' chose de neuf. Une autre raison des choix humains se trouve elle en dehors du plaisir, c'est la peur. Peur de ce qui pourrait empêcher le plaisir ou la notoriété. Mais aussi peur d'un hypothétique au-delà. Alors les gens font un certain nombre d'actions en espérant ainsi une situation plus confortable après la fin. Mais, à bien y réfléchir, il s'agit toujours de la même quête, celle d'une satisfaction de soi, d'un monde qui tourne autour de soi.
Oh, bien sûr, notre civilisation, puisque c'est une civilisation, recherche dans son ensemble le bien-être de tous. Elle a donc produit des règles de comportement en société, qui aboutissent à cette définition de la liberté, qui en fait n'en est pas une : "Ma liberté finit là où commence celle des autres."

En fait, la différence fondamentale entre la liberté, telle qu'elle est généralement comprise et celle qui nous est présentée dans les Ecritures tient au fait de l'autonomie. La liberté ne se comprend que si l'homme libre est autonome, s'il peut décider de lui-même. Or, le christianisme nous enseigne que cette autonomie n'existe pas, ou plutôt qu'elle est fausse, irréelle, truquée. Elle n'existe pas à cause du poids du péché, à cause de l'égosme de l'homme et de sa nature destructrice. L'homme soumis au péché et à sa recherche unique du plaisir ne peut pas être libre, bien qu'il soit lui-même persuadé qu'il est libre, au moins tant que l'insatisfaction et l'amertume ne l'ont pas encore gagné.
Il est aussi un autre esclavage selon Paul, qui, on pourrait le penser, n'a rien à voir avec ce premier. Il s'agit de l'esclavage de la loi. La loi, comme certains juifs de l'époque la comprenait, décidait de tout. Il ne restait quasiment plus rien à décider soi-même. Plus de liberté. Et en fait, cette soumission à la loi, et à toutes les prescriptions de la vie quotidienne, avait souvent pour fonction de rassurer face à la transcendance de Dieu.

Mais vous comprendrez bien sûr qu'il ne s'agit pour l'instant pas de la liberté évoquée par Jésus ou par Paul. Cette dernière répondrait plutôt à cette autre définition, qui n'en est pas non plus une: "Ma liberté commence quand commence celle de l'autre."
Pas plus que celui qui vit selon la chair, comme le dit la traduction Segond, ou selon les désirs de sa propre nature, comme le dit la traduction en français courant, celui qui vit selon l'Evangile n'est autonome. Il ne fait pas sa propre loi. Seulement, la différence essentielle se trouve dans les critères utilisés pour décider de ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Celui qui vit "selon l'Esprit" se met au service de Dieu, et au service de tous. Toutes ses actions, toutes ses décisions sont confrontées à ce simple critère : le service de Dieu et le service de tous. Pour résumer en un seul mot, l'amour. Non pas l'amour comme contentement de mes passions, mais l'amour comme le désir du bien de l'autre et de la gloire de Dieu. Cette liberté-là ne détruit pas, elle construit, elle aide, elle soutient. Elle rend l'existence à l'autre. Celui-ci qui vit cette liberté est en fait autonome, car à chaque choix, il n'y a pas de loi formelle qui lui dicte sa conduite.

Il est alors possible, quand on a placé sa vie dans ce sens là, à côté de Jésus, en direction du Royaume, de se poser le problème de la détermination au jour le jour des choix de vie, des choix d'actions.
Disons d'abord que tout est à décider, à chaque instant, et que chaque geste n'est pas codé l'avance. Il faut vraiment se demander, ce qu'il convient de faire, ou de ne pas faire. Ce qui avant n'était pas possible, quand le péché, quand l'égosme, quand l'esclavage de la chair, de la nature, était là, c'était justement cette possibilité d'examiner les choix possibles, le regard étant tellement omnubilé par soi même. Maintenant, les yeux sont ouverts et tournés vers Dieu, vers les autres. Une meilleure connaissance de Dieu, une meilleure découverte des autres, une connivence avec Dieu, une solidarité envers les hommes, l'amour de et pour Dieu, l'amour pour le prochain, voilà ce qui permet la liberté de vie. Afin de perfectionner cette liberté, il est nécessaire de rechercher le contact avec Dieu, de ne pas l'éviter, de rechercher la rencontre avec les autres, de ne pas se détourner. Et alors, les choix seront visibles, apparents, évidents. Et rien n'entravera plus cette liberté.
Mais, ne nous voilons pas la face. Nous savons tous que chacun n'y est pas encore, à cette liberté totale et pleine. Il nous reste encore des réflexes personnels, des actions intéressées, des gestes impies, et le Saint Esprit a encore du travail de sanctification à accomplir. Alors, laissons-le faire.

Pour terminer, revenons à ces rites sociaux cités dans le livre des Rois et dans l'évangile. Ce n'est pas en eux-mêmes que Jésus les critique. Je ne le crois pas. Il a lui même été enseveli. Mais, il me semble qu'il faut en toutes choses rechercher la motivation véritable. Il est des rites, le deuil par exemple, mais aussi tout acte solennel, dont le rôle psychologique est essentiel. Mais il en est d'autres, et vous en connaissez sans doute, dont on se passerait bien. Mais alors, pourquoi s'y soumettre ? Est-ce le service de Dieu ? Est-ce le service du prochain ?
Quel service ? pour quel prochain ? Allons, se pourrait-il que Dieu n'ait jamais placé sur votre chemin une parole à dire, un geste à faire ? Le voilà d'abord le service demandé. Et puis de fil en aiguille, l'Esprit nous conduit, si on sait l'écouter, sur d'autres chemins de liberté, sur d'autres chemins d'obéissance à la loi d'amour.

"Le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres. Demeurez donc fermement dans cette liberté et prenez garde de ne pas redevenir des esclaves."

Amen.

(Philippe Cousson)

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