Poitiers, 27 septembre 1998

Amos 6:1a,4-7
1 Tim 6:11-16
Luc 16:19-31

Voici un texte très connu, et auquel on a fait dire beaucoup de choses. Je commencerai d'abord par ce qu'il ne dit pas, pour ensuite essayer d'en tirer un message pour nous aujourd'hui.

Ce récit, ce conte, cette parabole est très certainement une adaptation d'un récit traditionnel, peut-être d'origine égyptienne, au moins selon certains spécialistes. Il ne faut pas y voir une description de l'au delà qui devrait faire autorité. C'est un peu comme si je vous racontais une arrivée au paradis, où St Pierre serait à la porte en posant des questions au nouvel arrivant. Jésus n'essayait pas de nous raconter les lieux de l'après-mort, mais bien de laisser un message aux vivants.

Il nous faut bien comprendre aussi que ce texte, pas plus qu'aucun autre texte de l'Evangile ou de toute l'Ecriture, n'est à utiliser comme une arme contre d'autres, ou au contraire comme justification, mais bien que c'est un texte qui s'adresse à nous, qui nous concerne, nous, ici, aujourd'hui. Nous n'y sommes pas extérieurs. C'est pour nous.

On a souvent entendu dire que le message religieux essentiel donné par les religieux et les puissants, était contenu dans des textes semblables. Il serait quelque chose comme : Vous, les pauvres, soyez heureux d'être pauvres, vous serez récompensés après la vie d'ici bas. C'est un reproche que bon nombre d'incroyants font encore à la religion, à la religion chrétienne en particulier, et qui malheureusement fut aussi le discours de quelques uns parmi les possédants. Mais ce n'est pas non plus le message contenu dans ce texte.

D'ailleurs, l'histoire ne nous donne aucune raison, pour laquelle le pauvre est accueilli dans le sein d'Abraham, et le riche se retrouve en Hadès. Rien ne dit que l'un mérite le paradis, et l'autre l'enfer. On peut simplement a priori supposer que Lazare était pieux, et que le riche ne l'était pas.

Voyons un peu les personnages de ce récit, de cette fable.

Le pauvre, Lazare, le seul avec Abraham à être nommé, est un personnage de peu d'ampleur. Il ne parle pas. Il ne fait rien. Quand il est vivant, il est couché, malade, il mendie, il espère. Quand il est mort, il est sur le sein d'Abraham, et puis c'est tout. Pas d'autre information.

Et le riche, lui, est mieux décrit, même s'il n'a pas reçu de nom. Il porte des vêtements luxueux, il vit bien, lui. Il fait partie, comme dirait un spot publicitaire, de ceux qui savent vivre. Et puis, il meurt, et on l'enterre. On le retrouve dans le séjour des morts, et là ce n'est plus du tout la même histoire. Il la vit mal, sa mort. Et voilà qu'il aperçoit Abraham et Lazare. Alors il parle. Il s'adresse à Abraham, poliment, respectueusement. A Abraham, pas à Lazare. Abraham c'est un patriarche, c'est le Père. Lazare, même mort, reste ce qu'il était, rien, ou alors simplement un esclave. La mort n'a pas changé ce riche. Il est resté tel qu'il était. Le moment pour changer, c'est la vie, pas la mort. Il voudrait améliorer un peu son sort, un peu d'eau. Mais voilà, c'est impossible. Alors, tout de même, il pense à d'autres, sa famille. Il faut les prévenir. Il faut leur éviter ça. Envoie donc Lazare. Il ne réalise pas que si il avait été, lui, placé dans cette situation, il n'aurait changé sa vie, que ses frères lui ressemblent, et qu'il est inutile de leur envoyer Lazare, que de toutes façons ils ne se repentiront pas.

Abraham, qui n'intervient que dans le deuxième temps de l'histoire, donne des réponses, des explications. La première réponse se place dans le cadre du récit proprement dit : pourquoi Lazare ne peut pas aller rafraîchir le riche. La seconde réponse tout en terminant le récit, s'adresse aux auditeurs de Jésus, et à nous. C'est dans celle-ci qu'il nous faut chercher notre parole d'aujourd'hui.

Il n'est pas fait au riche le reproche d'avoir été riche, tout comme la pauvreté ou la maladie de Lazare ne sont pas tenues pour des vertus. Ce n'est pas la richesse qui est visée ici. Il ne s'agit pas du texte de l'apôtre Jacques, que vous connaissez : Malheur à vous, riches ! Ce texte ne dit, ni qu'il est bien d'être pauvre, ni qu'il est mal d'être riche. Et pas non plus qu'il est bien d'être riche.

Jésus a parlé de la richesse en diverses occasions : après la rencontre avec le jeune homme riche, il a dit qu'il était difficile à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu. Dans le passage précédant, il a dit que la richesse pouvait être détournée, utilisée. Mais ici, le sujet n'est pas la richesse.

Mais alors, qu'est-il reproché au riche ? Pourquoi est-il du mauvais côté du grand abîme ? De quoi doit-il donc se repentir ? Il était vêtu de pourpre et de fin lin, et chaque jour il menait joyeuse et brillante vie. On dirait : il a su profiter de sa vie. C'était un bon vivant. Combien de fois est-il passé à côté de Lazare sans le voir, sans porter plus attention à lui. Pourtant il l'avait sans doute remarqué, parce qu'il le reconnaît ensuite. Mais ce regard n'avait rien changé à la situation de Lazare. Cela n'avait rien changé à la vie du riche. C'était un regard inutile. Il vécu comme ça, le riche. Vivant sa vie, la vivant bien, à côté des autres, en les voyant à peine. A l'occasion ils étaient des amis de fête, ou alors ils étaient des serviteurs, des esclaves. Quant à Dieu, à Moïse et aux prophètes, aux Ecritures Saintes, ils comptaient si peu. Il a quand même pu appeler Abraham Père. Mais c'est à peu près tout ce qu'il connaissait vraiment des textes. Sa vie était ailleurs, dans son plaisir, puisqu'il en avait les moyens.

Mais alors, faire la fête, il ne faut pas ? La Bible est remplie d'occasions de fête, de chant, de danse. Non, on peut faire la fête. Mais pas une fête orientée vers soi, pour soi, à l'occasion de soi, pour son plaisir, mais bien une fête pour les autres, et pour le plaisir des autres. Toutes les paraboles du chapitre 15 de l'Evangile de Luc se terminent par des fêtes et des réjouissances. Pas du genre de celles de ce riche-là. Il avait reçu beaucoup de biens. Et lui, il se les est réservés, à son usage unique. Il se les est accaparés. Pour Dieu, rien. Pour Lazare, rien. Pour les autres en général, rien.

L'épître à Timothée nous donne une série de clés, pour nous montrer ce que doit être la vie, la vraie : la justice ou la droiture, la piété ou l'attachement à Dieu, la foi, l'amour, la patience, la douceur. Ce ne sont pas vraiment les valeurs qui ont la cote dans notre monde. On rechercherait plutôt le succès. Mais voilà, ce sont là les vertus que nous recommande Paul. Ce sont aussi les vertus données par Moïse et les prophètes, et qui semblaient ne pas concerner le riche de l'histoire.

Si la première de ces vertus concerne tant Dieu que soi et les autres, les deux suivantes ont rapport à Dieu, et les trois dernières rapport aux hommes. La vie vraie, celle dont on n'a pas à se repentir, est une vie vécue en relation avec Dieu et avec les autres, aussi bien qu'avec soi même, dans la vérité du témoignage et la lumière de la gloire de Dieu.

On pourrait dire, que celui qui vient ici ce matin, pour écouter la parole, fait partie de ceux qui mènent cette vie là. Seul, chacun présent ce matin ici le sait pour lui-même. Chacun sait si il est dans la situation du riche qui vit sa vie, ou dans celle du disciple qui est entré déjà dans la vie éternelle. Chacun sait jusqu'à quel degré il a besoin du repentir. Chacun sait si son regard a été vraiment tourné vers Dieu et vers son prochain, ou s'il est resté orienté vers sa propre personne. Il n'est pas nécessaire d'être riche pour ne penser qu'à soi. Il n'est pas nécessaire d'être pauvre et malade pour penser à Dieu et aux autres. Mais écouter Moïse et les prophètes, mais prêter l'oreille à l'Evangile, mais méditer la Parole, voilà ce qui est indispensable pour éclairer la vie, pour conduire éventuellement à la repentance, pour que les regards se transforment en compassion et en action.

Recherche la droiture, l'attachement à Dieu, la foi, l'amour, la patience et la douceur.

Amen.

(Philippe Cousson)

Retour